Jazz et classique à l’ère numérique !
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Jazz et classique à l’ère numérique !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 4 minutes

Avec la révolution numérique, les pratiques d’écoute musicale changent en profondeur. Qu’en est-il du jazz et du classique, à l’ère numérique, en particulier ?

Une véritable révolution

En 2018 et pour la première fois en France, le chiffre d’affaires généré par les ventes de musique numérique (301 millions d’euros) a dépassé celui des ventes physiques (289 millions d’euros), tandis qu’en 2021, Apple déclarait qu’après la mise à jour à venir de son service de streaming musical : « la musique ne sera plus jamais la même ».

Deux cas particuliers

Le jazz et le classique continuent de progresser grâce aux concerts et aux ventes d’albums physiques (notons un retour enthousiasmant des ventes de vinyles, mais qui reste néanmoins une niche), mais ne trouvent pas encore leur place dans ce nouveau marché numérique.

Plusieurs raisons à cela

Tout d’abord, le streaming est une affaire de jeunes (les amateurs de jazz et de classique, plus âgés, sont beaucoup moins à l’aise avec la technologie).

Dans le streaming, c’est le titre qui prime, au détriment de l’album.

Les amateurs de jazz et de classique conçoivent, non seulement, leur écoute musicale en termes d’albums, mais se passionnent également pour les compositeurs, les solistes, les chefs d’orchestre, les ingénieurs du son, les dates et lieux d’enregistrements.

Ces mêmes amateurs ont organisé leur connaissance de la musique par rapport à une collection (peu importe le support), qui implique une spatialisation et qui disparait avec le streaming.

So What de Miles Davis reste l’un des morceaux de jazz les plus écoutés sur les plateformes de streaming musical. (Jazz et classique à l’ère numérique !).

Neutralité ou autonomie de la technique

Ceci amène à une réflexion philosophique où se pose la question de la neutralité ou de l’autonomie de la technologie.

Dans le Gorgias de Platon, Socrate, exige de Gorgias une explication sur son art de la rhétorique, ce à quoi il répond que c’est une technique ou un moyen innocent des usages qui en sont faits. Ici, est défendue une vision purement instrumentale de la technique (un couteau est un instrument moralement neutre, il peut servir indifféremment un boucher ou un assassin).

La théorie de la neutralité de la technique, semble à première vue évidente, mais à y bien réfléchir, elle n’est, ni neutre, ni totalement maitrisable. Elle a déjà, en quelque sorte, un parti pris : l’efficacité, qui la fait, de facto, sortir de sa prétendue neutralité.

La technique détermine donc, en grande partie, l’évolution de nos sociétés. Par exemple, d’un point de vue institutionnelle, l’abolition de l’esclavage est-elle due à un positionnement moral ou aux performances des machines ; Aristote avait répondu à la question de façon prophétique dans Politique. Livre I : « Si les navettes tissaient d’elles-mêmes la toile, si l’archet tirait spontanément les sons de la cithare, alors les architectes n’auraient pas besoin d’ouvriers, ni les maîtres d’esclaves. »

Une révolution en cours

Pour revenir à notre sujet, les objets techniques sont également de formidables embrayeurs de nouveaux mondes culturels (comme le dit Régis Debray dans Introduction à la médiologie) ; l’invention du gramophone, puis du phonographe, ont fait entrer la musique dans l’ère de la consommation de masse. L’arrivée du vinyle, va segmenter le marché de la musique : le LP/33 tours va créer le concept d’album, alors que le 45 tours va quant à lui inventer celui du single. La cassette audio, avec son caractère nomade, libère l’auditeur de la sédentarité du vinyle. Permettant à la fois d’écouter, d’enregistrer et d’échanger sans limites, elle démocratise l’écoute musicale et crée deux nouveaux concepts : la compilation et la copie pirate.  Le CD, enfin, comme tentative réussie de recadrage des libertés offerte par la cassette audio, marquera par son coût de fabrication extrêmement réduit, l’âge d’or de l’industrie musicale avec son corolaire d’excès en tout genre.

La dématérialisation de la musique représente une véritable révolution et un saut dans l’inconnu. Elle pose de nombreuses questions : le consentement à payer, la musique devient un service comme un autre que l’on coupe dès que l’on cesse de payer, la dégradation de la qualité du son, la dépendance aux algorithmes de recommandation musicale, la dépendance aux aléas informatiques (changement de matériel, changement de format de lecture, etc.…).

La suite pour violoncelle no 1 en sol majeur, BWV 1007, de Jean-Sébastien Bach, reste l’un des morceaux de classique les plus écoutés sur les plateformes de streaming musical. (Jazz et classique à l’ère numérique !).

L’avenir de la musique

Depuis l’antiquité et l’avènement des ars memoriae, on sait que pour fixer un souvenir, il faut l’associer à une image. Cicéron, qui reprit le récit de Simonide de Céos, dans son De oratore, conclut de cette façon : « Pour exercer cette faculté du cerveau, [on doit] choisir […] en pensée des lieux distincts, se former des images des choses qu’on veut retenir, puis ranger ces images dans les divers lieux. Alors l’ordre des lieux conserve l’ordre des choses ; les images rappellent les choses elles-mêmes. Les lieux sont les tablettes de cire sur lesquelles on écrit ; les images sont les lettres qu’on y trace. »

Finalement, sans collection de disques, comment allons-nous organiser notre connaissance et notre mémoire de la musique et que restera-t-il de toute cette musique entendue ?

L’avenir nous le dira !

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Hakim Aoudia.

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