(Re)Lisez la Terre de Zola, un roman actuel !
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(Re)Lisez la Terre de Zola, un roman actuel !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 5 minutes

Prenant pour décor la vaste plaine de la Beauce, la Terre d’Émile Zola est un roman d’une étonnante modernité. Les mutations qu’il pressent et les intentions qui l’animent sont plus que jamais d’actualité. 

La Beauce, miroir de la ruralité 

La Terre d’Emile Zola est publié en 1887. C’est le quinzième volume de la série des Rougon-Macquart. Il se situe dans l’immense territoire agricole des plaines de la Beauce, surnommé le grenier à blé de la France. Il choisit pour cela une commune des bords de l’Aigre, près de Cloyes-sur-le-Loir, fictivement nommée Rognes.  

Zola choisit le site de Romilly-sur-Aigre à dessein, car il lui semble représentatif de la paysannerie de l’époque. Il écrit à Henri Céard dans une lettre datée du 6 mai 1886 : « J’y aurai tout ce que je désire, de la grande culture et de la petite. Un point central bien français, un horizon typique, très caractéristique, une population gaie, sans patois. »

Jean Macquard

Dans le premier chapitre du roman, il présente Jean Macquard, ancien soldat blessé en Italie. Ce dernier est revenu à la vie civile comme valet d’Alexandre Hourdequin et sème du blé sur une parcelle du domaine de la Borderie.

Il décrit ainsi le décor dans lequel se déroulera son récit : « Sous le ciel vaste, un ciel couvert de la fin d’octobre, dix lieues de cultures étalaient en cette saison les terres nues, jaunes et fortes, des grands carrés de labour, qui alternaient avec des nappes vertes des luzernes et des trèfles ; et cela sans un coteau, sans un arbre, à perte de vue, se confondant, s’abaissant, derrière la ligne d’horizon, nette et ronde comme une mer. Du côté de l’ouest, un petit bois bordait seul le ciel d’une bande roussie. Au milieu, une route, la route de Châteaudun à Orléans, d’une blancheur de craie, s’en allait toute droite pendant quatre lieues, déroulant le défilé géométrique des poteaux du télégraphe. Et rien d’autre, que trois ou quatre moulins de bois, sur leur pied de charpente, les ailes immobiles. »

Une révolution agricole

Julien Dupré, Les foins, collection particulière. Crédit photo.

Ainsi dans La Terre, Emile Zola décrit le quotidien des paysans beaucerons.

De plus, il met en scène cette révolution agricole, qui voit mourir l’agriculture traditionnelle et son paysage composite. Avec pour conséquence, l’avènement d’une culture intensive au paysage monochrome et monotone.

Buteau

Ce passage d’une économie fermée, de subsistance, à une économie ouverte, intensive, est confirmé par le personnage de Buteau.

Celui-ci est brutal, violent, sournois et doté d’une force physique hors du commun. Mais il est grandi que par son immense passion de la terre. En effet, c’est un véritable agriculteur qui ne connait presque rien d’autre que les terres des plaines de la Beauce.

Le voici, décrit par Zola, alors qu’il vient de prendre possession de l’héritage de ses parents. Il se tient dans sa maison, face au paysage qui s’offre à sa vue : « Ainsi, la Beauce, devant lui, déroula sa verdure, de novembre à juillet, depuis le moment où les pointes vertes se montrent, jusqu’à celui où les hautes tiges jaunissent. Sans sortir de sa maison, il la désirait sous ses yeux, il avait débarricadé la fenêtre de la cuisine, celle de derrière qui donnait sur la plaine ; et il se plantait là, il voyait dix lieux de pays, la nappe immense, élargie, toute nue, sous la rondeur du ciel. Pas un arbre, rien que les poteaux télégraphiques de la route de Châteaudun à Orléans, filant droit, à perte de vue. C’était l’époque où la Beauce est belle de sa jeunesse, ainsi vêtue de printemps, unie et fraîche à l’œil en sa monotonie. Les tiges grandirent encore, et ce fut la mer, la mer des céréales, roulante, profonde, sans bornes. » 

Une lutte des classes 

Dans La Terre, Émile Zola est également conscient qu’un processus inéluctable est en marche. C’est pourquoi deux conceptions de la paysannerie française s’affrontent au travers de la petite et de la grande propriété.

Il y a d’abord les réformes qui mettent fin au système féodal de l’Ancien Régime. Avec la réforme agraire de 1793, tous les citoyens français peuvent acquérir des terres.

Malheureusement, sur le terrain, l’effet de ces réformes est extrêmement limité. Tandis que les petits paysans manquent de moyens, la bourgeoisie fortunée achete de grandes superficies.

Il illustre cet antagonisme au travers du personnage d’Isidore Hourdequin, un ancien fermier général aisé : « Isidore Hourdequin était le descendant d’une ancienne famille de paysans de Cloyes, affinée et montée à la bourgeoisie, au seizième siècle. (…) Lorsque, à vingt-six ans, privé de sa place par la Révolution, il eut l’idée de faire fortune avec les vols de ces brigands de républicains, qui mettaient en vente les biens nationaux. Il connaissait admirablement la contrée, il flaira, calcula, paya trente mille francs, à peine le cinquième de leur valeur réelle, les cent cinquante hectares de la Borderie, tout ce qu’il restait de l’ancien domaine des Rognes-Bouqueval. Pas un paysan n’avait osé risquer ses écus ; seuls des bourgeois, des robins et des financiers tirèrent profit de la mesure révolutionnaire. »

Une concentration des exploitations

Julien Dupré. Les porteuses de gerbes (1880) Huile sur toile, collection particulière. Crédit photo.

Dans cet extrait, Isidore Hourdequin explicite le phénomène de la concentration des exploitations agricoles : « (…) La lutte s’établit et s’aggrave entre la grande propriété et la petite… Les uns, comme moi, sont pour la grande, parce qu’elle paraît aller dans le sens du progrès, avec l’emploi de plus en plus larges machines, avec le roulement des gros capitaux… Les autres, au contraire, ne croient qu’à l’effort individuel et préconisent la petite, rêvent de je ne sais quelle culture en raccourci, chacun produisant son fumier lui-même et soignant son quart d’arpent, triant ses semences une à une, leur donnant la terre qu’elles demandent, élevant ensuite chaque plante à part sous cloche… Laquelle des deux l’emportera ? »

L’avènement de l’agriculture intensive

Enfin, avec cet autre extrait, Isidore Hourdequin lance un plaidoyer en faveur de l’agriculture de masse  : « Depuis des siècles, le paysan prenait au sol, sans jamais songer à lui rendre, ne connaissant que le fumier de ses deux vaches et de son cheval, dont il était avare ; puis, le reste allait au petit bonheur, la semence jetée dans n’importe quel terrain, germant au hasard, et le ciel injurié si elle ne germait pas. Le jour où, instruit enfin, il se déciderait à une culture rationnelle et scientifique, la production doublerait. Mais, jusque-là, ignorant, têtu, sans un sou d’avance, il tuerait la terre. Et c’est ainsi que la Beauce, l’antique grenier de la France, la Beauce plate et sans eau, qui n’avait que son blé, se mourait peu à peu d’épuisement, lasse d’être saignée aux quatre veines et de nourrir un peuple imbécile. » 

Un témoin de son temps

Zola, dans son bureau du IXe arrondissement de Paris. (Collection particulière et LP/Sébastien Roselé.)

À ce sujet, il explique clairement ses intentions dans une lettre adressée à Van Kolff le 27 mai 1886 : « Ce roman m’épouvante moi-même, car il sera certainement un des plus chargé de matière, dans sa simplicité. J’y veux faire tenir tous nos paysans, avec leur histoire, leurs mœurs, leur rôle. J’y veux poser la question sociale de la propriété. J’y veux montrer où nous allons, dans cette crise de l’agriculture, si grave en ce moment. » 

Affirmant souhaiter « faire pour le paysan avec La Terre ce [qu’il a fait] pour l’ouvrier avec Germinal », ce texte essentiel d’Émile Zola reste d’actualité, notamment face aux immenses pressions des activités humaines, du changement climatique et des mesures salvatrices que nous devons prendre pour sauver notre planète. 

Zola barbant, démodé, dépassé ? Certainement pas ! 

Hakim Aoudia. 

Notre note
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LA TERRE / Emile Zola / Audiobook Chapitre 1

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