Lynd Ward, pionnier de la BD !
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Lynd Ward, pionnier de la BD !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 6 minutes

Avec ses romans sans paroles en gravures sur bois, Lynd Ward révolutionne la narration picturale. L’occasion de plonger dans l’œuvre de ce précurseur de la BD et du roman graphique. 

Un destin d’artiste 

Choisit-on une carrière artistique, ou celle-ci s’impose-t-elle à nous ? 

Lynd Ward aurait eu la confirmation de sa destinée d’artiste lorsque l’un de ses professeurs lui fit remarquer que son nom était l’anacyclique de Draw (dessiner en anglais). 

Il suivra donc son destin, faisant sienne cette citation d’Albert Camus prononcée lors du discours de réception du prix Nobel de Littérature 1957 : « Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et, s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel ». 

Un enfant à la santé fragile 

Lynd Ward naît le 26 juin 1905 à Chicago. Son père, Harry F. Ward, célèbre méthodiste anglais proche du socialisme chrétien, émigre aux États-Unis en 1891. Il y rencontre Harriet May Daisy Kendall à l’Université Northwestern de Chicago et l’épouse en 1899. Ils auront trois enfants. 

Très jeune, il est atteint par la tuberculose. Ainsi, sa famille s’installe, dès 1909, près d’Oak Park dans la banlieue de Chicago, afin de lui assurer une meilleure santé. De plus, iI passera de réguliers séjours en Ontario, dont la nature sauvage sera une source d’inspiration première et inépuisable pour l’artiste en devenir qu’il est déjà. 

Une passion pour le dessin 

Dès l’école primaire, Lynd Ward montre une appétence pour le dessin. En effet, il se souvient que, petit, son père lui confie la mission de cartographier la région autour de leur chalet en Ontario. Une mission qu’il effectue avec beaucoup de zèle, non seulement parce qu’il aime dessiner, mais aussi parce que cela le dispense des tâches ménagères. 

Au lycée Englewood dans le New Jersey, qu’il rejoint avec un an d’avance en 1918, il est nommé directeur artistique de The Oracle, journal de l’établissement. 

Il dira de cette période : « Dans le presbytère méthodiste où j’ai grandi, il était interdit de jouer au baseball le dimanche ou à n’importe lequel des autres jeux, qu’on nous encourageait à pratiquer les autres jours de la semaine. Il était également interdit de lire des bandes dessinées. En revanche, les livres et le dessin étaient autorisés. Rétrospectivement, ces restrictions du dimanche n’ont pas été complètement négatives ; car les livres et le dessin ont pris une part prépondérante, qu’ils n’auraient probablement jamais eus autrement. » 

Une formation aux arts graphiques 

En 1922, il entre à l’Université de Columbia pour y étudier les Beaux-arts, où il deviendra le rédacteur en chef de son magazine, Jester of Columbia.

Couverture du magazine Jester of Columbia d’octobre 1924. Copyright Columbia University.

C’est à cette époque qu’il rencontre May Yonge McNeer, étudiante en journalisme, qu’il épousera en 1926, peu de temps après qu’ils aient obtenus leurs diplômes. 

Après quelques semaines de lune de miel passées en Europe, le couple s’installe à Leipzig, où Ward vient de s’inscrire à l’Académie Nationale des Arts Graphiques et du Livre. C’est là qu’il est initié à l’art de la gravure sur bois et de la lithographie. 

Une influence majeure 

En 1927, il achète chez un bouquiniste un exemplaire du Soleil, de Frans Masereel. Dès lors, ce roman en images, réécriture du mythe d’Icare, influence d’une manière déterminante sa carrière artistique.

Illustration du Soleil de Frans Masereel. Crédit photo.

En effet, Lynd Ward trouve dans le travail de Masereel une sorte d’effet miroir à sa propre philosophie de vie. Car son œuvre est en parfaite concordance avec sa vision du monde, héritée de son père. De plus, elle attise sa sensibilité particulière au sort des plus faibles et sa volonté farouche de comprendre la condition humaine. 

Coup d’essai, coup de maître 

En 1928, il retourne à New York, et l’année suivante paraît son premier roman sans paroles Gods’ Man : A Novel in Woodcuts. Il s’agit d’une réécriture du mythe de Faust, où un artiste en manque de succès vend son âme au diable contre un pinceau magique, qui le mènera au firmament, mais également à sa perte. C’est un véritable chef-d’œuvre. Là où, dans le roman écrit, le lecteur a besoin d’un temps d’adaptation, d’ajustement, au style et au sens de la narration, pour finir au même résultat, la fin choisie par l’auteur ; les gravures de Ward ont leur vie propre, elles s’autonomisent proposant une narration unique pour chaque lecteur.

Illustrations de Gods’ Man : A Novel in Woodcuts de Lynd Ward. Crédit photo.

À ce propos, Ward répondait invariablement à la question : « Que vouliez-vous dire par là ? », par : « Ce n’est pas ce que je voulais dire qui compte, c’est ce que vous y voyez. » 

Une œuvre au noir 

Madman’s Drum, paru en 1930, est très probablement l’une de ses œuvres les plus complexes. Il narre la malédiction qui s’abat sur un marchand d’esclaves, prenant la forme d’un tambour démoniaque. 

En 1932, il publie Wild Pilgrimage qui raconte la quête d’un ouvrier qui abandonne son travail à l’usine à la recherche de sa liberté. Il inaugure avec ce livre un nouveau concept de narration graphique où les illustrations en noir et blanc représentent la réalité et celles teintes en rouge la pensée du narrateur. 

Avec Prelude to a Million Years en 1933, il revient à ses années de formation et son influence première : Frans Masereel. C’est l’histoire d’un sculpteur qui, dans sa quête radicale de beauté, néglige la dure réalité des conditions de vie de ces congénères en pleine Grande Dépression. 

En 1936, Song Without Words traite de l’angoisse d’une femme enceinte, à l’idée de mettre au monde un enfant dans un pays menacé par la montée du fascisme. 

Vertigo, en 1937, est son œuvre la plus ambitieuse, la plus révoltée et la plus politisée. Un monde d’apparences, perdu, où toute perspective a disparu, avec des personnages englués dans la pauvreté, l’oppression et l’aliénation.

Illustration de Vertigo de Lynd Ward. Crédit photo.

Reconnaissance et consécration 

Il fera également carrière dans l’illustration ; illustrant près de 200 livres pour enfants et adultes. 

En 1942, il illustre l’album jeunesse The Little Red Lighthouse and the Great Gray Bridge de Hildegarde Swift ; sa fille Robin, raconte à ce sujet une anecdote qui éclaire sur sa façon de travailler : « Le livre est intitulé « Le modeste phare rouge et le pont argenté ». Il devait faire des croquis du pont. Mais nous étions en pleine guerre et la structure était gardée par l’armée, car c’était une cible stratégique pour d’éventuels saboteurs. Alors, ma mère et lui ont élaborés un plan. Ils traverseraient le pont et descendraient depuis la route jusqu’aux rochers sur lesquels reposait le pont. Ma mère monterait la garde avec une copie du contrat d’édition du livre dans son sac à main, pendant que mon père dessinerait. Au cas où il finirait en prison, elle pourrait prouver qu’il avait une bonne raison de se trouver là à faire des croquis. »

Illustration de Lynd Ward pour The Little Red Lighthouse and the Great Gray Bridge. Crédit photo.

L’après-guerre le consacre, comme le graveur sur bois de référence aux États-Unis. 

Il sera nommé à l’Académie Américaine des Beaux-Arts en 1958 et obtiendra toute une série de prix prestigieux. 

Un pionnier de la BD et du roman graphique 

Lynd Ward meurt à Reston, Virginie, le 28 juin 1985 à l’âge de 80 ans. 

Michael Maglaras réalisera un documentaire de 94 minutes O Brother Man : The Art and Life of Lynd Ward, dont la première aura lieu le 20 avril 2012 dans l’Auditorium Foster de la Bibliothèque de l’Université de Penn State. Celui-ci met en exergue une citation de Ward, qui résume à elle seule son œuvre : « J’ai toujours pensé que quiconque « lit » un récit pictural, doit garder une liberté pleine et entière de développer ses propres interprétations ; pour aboutir à quelque chose de personnel. Un test rapide serait le suivant : le récit peut-il être compris si l’on en efface les paroles ? »

L’œuvre de celui qui est désigné par Will Eisner, Art Spiegelman, Alan Moore et Scott McCloud, comme un précurseur absolu du roman graphique et de la BD. 

Hakim Aoudia. 

Notre note
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Extrait d’un documentaire sur Lynd WARD

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