Dietland, une série radicale et féministe !
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Dietland, une série radicale et féministe !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 8 minutes

Créée par Marti Noxon, la série Dietland se compose d’une saison de dix épisodes d’environ quarante minutes. Adaptation du roman de Sarai Walker, avec Joy Nash pour jouer le personnage principal, la série est un parcours dans les questions féministes, avec un point de départ sur le surpoids et la grossophobie et un véritable questionnement sur la radicalité dans les luttes.

Plum Kettle

Plum, personnage principale de la série est grosse. Elle serait même en obésité morbide. Mal dans sa peau et dans sa tête, elle cherche à tout prix à maigrir et suit donc un régime strict, participe à un groupe de parole et économise pour subir une opération bariatrique. Elle rêve d’écrire mais n’est que ghostwriter pour Kitty Montgomery, éditrice du magazine féminin White Chain. Elle répond pour elle à ses lectrices pour la rubrique Dear Kitty ( Chère Kitty ).

Joy Nash dans le rôle de Plum Kettle dans la série Dietland. Crédit photo AMC.

À un moment, elle est approchée par un groupe féministe dirigé par Verena Baptist, fille du couple Baptist que les régimes du même nom ont rendu très riches, et qui cherche à réparer le mal qu’ils ont causé.

Dans le même temps, un groupe aux revendications féministes, Jennifer, tue des hommes ayant commis des viols et expose publiquement ses victimes en lâchant leurs corps dans la ville, depuis les airs.

Une mise en garde

Avant toute chose, il me semble important de poser certains avertissements.

Le féminisme est une lutte sociale qui vise l’abolition du sexisme et du patriarcat. Ainsi, il est important de montrer les injustices et les violences subies par les femmes. Mais cela peut rendre le programme difficile à regarder si l’on fait soi-même face à ces problèmes. Les premières minutes sont notamment particulièrement violentes : scarifications, violences conjugales, mentions de violences sexuelles, anorexie… tout y passe.

Il y a par la suite les parcours de vie des personnages, des attitudes sexistes et grossophobes ; tout cela crée une ambiance qu’il faut être prêt-e à affronter. Mais s’y accrocher, c’est être récompensé-e.

Une série qui joue avec nos perceptions

Dietland joue avec notre perception de la réalité, nos convictions, nos croyances et les codes fictionnels.

Face à une fiction comme dans la vie, pour avoir une compréhension rapide et globale, nous rangeons les personnes ou les personnages dans deux grandes catégories : gentil-le ou méchant-e. Ces catégories, on les construit soit en fonction de nos valeurs, soit en fonction du système de valeurs du personnage principal. En somme, on essaie de choisir son camp.

Or, dans la série, les personnages ne sont jamais du côté où on les pense et presque chacun-e d’entre elleux joue double jeu. Comme Plum, la spectatrice/le spectateur doit se méfier de tout le monde.

Ajoutez à cela des incrustations animées, des hallucinations, des souvenirs et des produits de l’imagination de Plum et vous perdez tout sens du réel. C’est une série qui vous maintient sur vos gardes en permanence et c’est très agréable.

Un regard sur la radicalité des luttes

La question qui est selon moi au centre de la série est celle de la radicalité dans la lutte. C’est une confrontation de points de vues féministes.

Julianna Margulies dans le rôle de Kitty Montgomery sur la série Dietland. Crédit photo AMC.

Il y a d’abord Kitty Montgomery, qui n’est pas exactement le modèle de la féministe. Mais la série avançant, on la trouve plus consciente du patriarcat que ce qu’on imaginait. Très mince, blanche, riche, les cheveux parfaits et à l’allure jeune malgré sa cinquantaine d’années, elle est l’image même de ce que les hommes attendent des femmes. Son magazine et les conseils qu’elle donne à ses lectrices à travers Plum sont plus une incitation à rentrer dans les normes patriarcales qu’un appel à l’émancipation. Elle représente le féminisme girl boss, brisant le plafond de verre en occupant un poste généralement réservé aux hommes.

Le projet Calliope House

D’un autre côté, Verena Baptist avec son projet Calliope House, présente un féminisme radical et passionnément pacifiste.

Robin Weigert dans le rôle de Verena Baptist sur la série Dietland. Crédit photo AMC.

Elle entend changer les choses en offrant un refuge à des femmes blessées par la vie, et en leur donnant de l’argent pour réaliser leurs projets : « C’est un lieu radical fait pour des femmes radicales et certaines personnes se sentent menacés par cela. Qu’est-ce qu’il y a de si radical là-dedans ? Eh bien, le vrai changement ne peut pas venir de l’intérieur. Tu dois créer un tout nouveau système : c’est cela Calliope House. »

Ainsi, Verena va aider Plum à changer de paradigme, à changer sa vision d’elle-même et du monde.

Jennifer, un mouvement révolutionnaire !

Ensuite il y a Jennifer, avec son féminisme radical qui ne recule pas devant la violence pour arriver à ses fins, jusqu’à utiliser le terrorisme comme moyen d’action. En effet, c’est ce mouvement qui mène la série vers le débat sur la radicalité.

Elles posent la question : jusqu’où peut-on aller pour ses convictions ? L’une d’entre elles justifie leurs actions en disant « Le vrai changement se produit lorsqu’il est question de vie et de mort. » Jennifer est un mouvement révolutionnaire, à la sensibilité anarchiste. Leur violence n’est pas qu’une vengeance. C’est une violence politique qui sert une stratégie.

Dans les premiers épisodes, elles demandent aux médias de publier leur manifeste. Parmi leurs revendications : l’égalité salariale, la parité, la fin de la culture du viol. Leurs victimes sont des agresseurs sexuels ou des violeurs.

Instaurer la peur

Pour les femmes de ce mouvement il est facile de tuer des hommes quand ces derniers violent, violentent et tuent des femmes et des jeunes filles partout, à chaque instant.

Meurtre revendiqué par le mouvement Jennifer sur la série Dietland. Crédit photo AMC.

Il ne s’agit pas bien sûr de viser des innocents ni même de faire une banale généralité. Tout part d’un constat : l’impunité totale dont bénéficient ces hommes concernant ces actes. Et le sentiment qu’ont beaucoup d’hommes de se sentir autorisé à violenter les femmes.

Ainsi, Jennifer instaure la peur parmi les hommes puissants. Comme une application en pratique du slogan « Pour que la peur change de camp », elles font des listes d’hommes dont il faut se méfier.

Dès lors, rien à craindre si on sait qu’on n’a rien à se reprocher. Mais si l’on a des comportements problématiques ou dangereux envers les femmes, il faut craindre des représailles de la part de Jennifer.

La peur change de camp

Finalement, elles font ce que les institutions ne font pas : dissuader les hommes de commettre ces violences. Seulement voilà, elles le font en tuant. Alors évidemment, ça n’est ni moral, ni plaisant, mais le message que la série semble vouloir nous transmettre l’air de rien pourrait être : néanmoins ça marche et de toute façon, qu’est-ce qu’il nous reste ?

On voit effectivement leur popularité exploser parmi les femmes du monde fictif de Dietland. Quand la peur change de camp, les femmes peuvent enfin respirer. Parce que bien sûr, not all men ( pas tous les hommes ), mais assez pour qu’on ait toutes peur. Un autre slogan, un autre message véhiculé par la série.

Un personnage sympathique

Dans tout ça il y a Plum. Plum est un personnage sympathique, elle est réservée et serviable, peut-être un peu trop. Elle n’a pas confiance en elle. C’est un modèle de femme discrète dans laquelle on peut se reconnaître. Elle est jouée par une actrice également grosse, Joy Nash, ce qui est non seulement important pour la visibilité des personnes grosses, mais également un soulagement politique.

Les personnages décrits comme gros sont souvent joués par des acteurices qui ne le sont pas, que l’on pourrait peut-être considérer en surpoids. Ces représentations blessent et marginalisent encore plus celles et ceux qui ne correspondent pas aux critères normatifs de minceur.

À travers Plum, nous reconnaissons ou découvrons la violence de la grossophobie, qui est absolument partout, même au sein du groupe de parole où elle va pour être accompagnée dans son régime préopératoire.

Maigrir, une solution ?

Dietland, la série qui démonte les injonctions à la beauté. Crédit photo AMC.

Dans ses yeux, nous reconnaissons ou découvrons à quel point personne ne se gêne pour faire des remarques désobligeantes sur le corps des femmes grosses ou leur santé présumée. Tout est abordé, même le fétichisme qui est une violence qui peut ne pas en avoir l’air. 

Avec elle nous comprenons que maigrir à tout prix n’est pas une solution, que cela peut représenter un danger pour la santé physique autant que mentale. Le générique le laisse d’ailleurs préfigurer : une Plum animée se retrouve devant une montagne de nourriture qu’elle commence à escalader. Au milieu, elle devient Alicia, « la fille mince et belle qui se cache en elle » ( selon elle ), mais continue de monter, jusqu’à devenir maigre, cadavérique et finir par mourir.

Un aspect pédagogique

Plum ne se dit pas féministe au début de la série. Mais elle, et nous avec elle, voyage et évolue sur ces questions : elle constate la violence du monde, doute, se cherche, mais se rend à l’évidence que le féminisme est une nécessité. 

Dietland a un aspect pédagogique : elle met en évidence les problèmes rencontrés par les femmes, pour mener doucement la spectatrice/le spectateur à se remettre en doute : on se surprend à considérer que Jennifer aurait peut-être raison. On se sent autorisé-e à le penser car c’est une fiction.

Une comparaison douteuse

Selon moi, la série ne fait évidemment pas l’apologie du meurtre, mais pose une idée.

Encore une fois, étudions un slogan : « Les hommes ont de la chance que les femmes demandent l’égalité et pas la vengeance. » La question de Dietland à ce propos est « Et si jamais elles décidaient de se venger ? » Quelle serait notre réaction, en tant que société ?

Un article du journal Le Monde comparant Dietland à deux autres séries tournant autour du surpoids, et vers lequel je ne vous renverrai pas car je le trouve douteux et problématique, définit Jennifer comme « une sorte de branche armée du mouvement #metoo » alors comparons : il s’agit d’un féminisme qui ose nommer les violeurs et agresseurs ( même si on serait plus proche de #BalanceTonPorc ) et que les femmes plébiscitent, créant une panique momentanée parmi les hommes et notamment les hommes puissants.

Une petite révolution

Dietland, la série qui démonte les injonctions à la beauté. Crédit photo AMC.

Mais cette comparaison a un arrière-goût malhonnête. #MeToo a été un mouvement de libération de la parole et une occasion d’amener le féminisme au centre du débat politique. C’était un mouvement pacifiste que des antiféministes et des réactionnaires avaient déjà qualifié de violent, tout simplement parce que les femmes osaient élever la voix et exposer leur colère.

Le mouvement Jennifer s’assume violent. Peut-être que l’on peut le voir comme : #MeToo a été une avancée, mais les politiques ne changent pas ou pas assez et les institutions non plus.

Dietland avec Jennifer nous dit que les femmes sont en colère. Et que certaines d’entre elles pourraient un jour être tentées d’aller plus loin si rien ne change. Une manière artistique et exagérée de dire : il faut un changement radical avant que ça ne tourne mal. 

Dietland est une petite révolution qu’il faut regarder à tout prix !

Lou Gasparini.

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