Le rap à l’africanité fièrement revendiquée de Sampa The Great !
Engagée, notamment en faveur des femmes, affirmée, fière et rayonnante, Sampa The Great délivre un rap puissant et intelligent, soutenu par de magnifiques arrangements funk, soul, r&b, jazz, blues, kalindula et kwaito. Un sacré petit bout de femme, qui en impose !
Objet au milieu d’autres objets
Dans Peau noire, masques blancs, Frantz Fanon affirme : « « Sale nègre » ou simplement : « Tiens, un nègre ». J’arrivais dans le monde, soucieux de faire lever un sens aux choses, mon âme pleine du désir d’être à l’origine du monde, et voici que je me découvrais objet au milieu d’autres objets. »

Voilà de quoi illustrer le parcours de Sampa Tembo, une artiste africaine née en Zambie, qui a grandi au Botswana, étudiée en Californie, pour finalement se révéler en Australie.
Oh, voilà comment fonctionne le monde !
Sampa résume ainsi ses années de formation : « Née en Zambie, je suis zambienne, mais quand j’avais deux ans, mes parents ont bougé au Botswana voisin pour des raisons professionnelles. Puis je suis allée étudier en Californie, à 18 ans, où – pour la première fois – j’ai pu concevoir l’art comme une carrière, être prise au sérieux. C’est aussi là que j’ai pris conscience du regard porté sur les Africains à l’extérieur du continent. Il y a une hiérarchie dans la façon dont les gens vous traitent. Quand vous sortez de votre petite bulle africaine, que vous expérimentez cela en personne, vous réalisez subitement « oh, voilà comment fonctionne le monde ». À domicile, j’avais confiance en moi, je m’aimais. À l’étranger, où j’étais ramenée à ma couleur de peau, tout était différent. C’était difficile, mais ce fut mon introduction à la réalité. »
Dépasser les frontières et s’affirmer tout entière
Dès son premier EP, The Great Mixtape, en 2015, Sampa impose son style. Un astucieux mélange de rap, de funk, de soul, de jazz, de blues et de musique africaine. Mais aussi, une puissance vocale, un phrasé d’une précision chirurgicale et des textes incisifs et engagés. Comme elle le dit si bien : « Je ne me décrirais ni tout à fait comme une chanteuse, ni tout à fait comme une rappeuse… « poétesse » serait plus exacte. »
En 2017, elle confirme avec un second EP, Birds and The BEE9, qui lui permet d’être repérée par le label anglais Ninja Tune et de se faire remarquer par Kendrick Lamar, Lauryn Hill, Little Simz et Ibeyi, dont elle assure les premières parties.
Un succès fulgurant
En 2019, avec The Return, Sampa The Great réalise un album rap dense et puissant. Ainsi, elle met son art au service d’une cause en explorant les thématiques du féminisme, du racisme systémique, de la marginalisation des femmes noires, ou des inégalités sociales.
Cependant, elle ne peut se départir d’un sentiment d’illégitimité : « J’étais consciente de mes privilèges, je ne voulais pas devenir une sorte d’ambassadrice de ma culture, mais, par défaut, c’est ce qui est arrivé. À un moment, j’ai commencé à représenter davantage que moi-même : j’incarnais la communauté africaine, mais aussi, dans une certaine mesure, ce que traverse également la population indigène australienne. Un poids énorme est venu accompagner cette responsabilité. Mon premier album n’a pas été par amour et par joie, mais par sens du devoir et de représentation. »
Un retour aux sources
Comme pour beaucoup d’entre nous, la période de confinement fut pour Sampa The Great, un moment de réflexion : « Avec la pandémie, pour la première fois de ma vie, j’ai pu rentrer en Zambie et y vivre pendant trois années d’affilée, sans bouger. J’ai pu me reconnecter avec ma culture, mes racines, ma musique. Après toutes ces années passées à m’interroger sur mon identité, j’ai enfin pu me sentir moi-même, Zambienne. Sampa Tembo et Sampa The Great ont enfin pu redevenir une seule et même personne. J’ai travaillé avec des artistes locaux, utilisé des instruments, producteurs et rythmes locaux. Ce n’est plus un album de représentation, c’est mon album à moi. »
Trouver sa propre voie
Ainsi, avec son deuxième album, As Above So Below, paru en 2022, Sampa The Great a enfin trouvé sa voie et assume désormais sa culture zambienne et ses influences occidentales. Le parfait exemple en est la facilité et le naturel avec lesquels elle passe, dans certains morceaux, de l’anglais au dialecte de son enfance.
Une rappeuse à suivre de très près, notamment depuis qu’elle a trouvé « la meilleure version d’elle-même » : « Quelque part, la pandémie a soulevé une question fondamentale pour les artistes : lorsqu’on vous retire votre musique, que reste-t-il de vous ?
Hakim Aoudia.
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