Quand la musique inspire la littérature : le jazz !
Clara Ysé Philippe Hayat Ray Celestin Frank Conroy Esi Edugyan

Quand la musique inspire la littérature : le jazz !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 6 minutes

Alors que la littérature peut se prévaloir de la force du discours, de la raison et de la connaissance, la musique semble plus propice à exprimer les émotions et sentiments. Cependant, rien n’est moins sûr, comme nous le prouvent certaines musiques savantes ou la littérature sentimentale. En effet, il arrive régulièrement que ces deux arts s’inspirent mutuellement. Voici notre sélection de littérature inspirée par la musique, avec, cette fois-ci, un petit tour du côté du jazz.

Mise à feu de Clara Ysé aux éditions Grasset

Mise à feu de Clara Ysé aux éditions Grasset (Quand la musique inspire la littérature : le jazz). Crédit photo éditions Grasset.

« Avant mes six ans, c’est le soleil. Quelque chose de pur, de frais, de vivant. Gaspard, l’Amazone, Nouchka et moi. Unis. Jusqu’à l’incendie. »

Tout est dit dans le prologue : Nine la narratrice de six ans, Gaspard de deux ans son aîné, l’Amazone mère magnétique et Nouchka, personnage central et non moins original, décrite de la sorte : « On l’a découverte un jour sur le bord de la route, dans le Sud. Elle avait une aile cassée. On l’a recueillie, on lui a donné à boire, à manger, tant et si bien que Nouchka nous a déclaré, au bout de quelques mois, que nous étions sa nouvelle famille. Je dis « déclaré », oui. Nouchka est une pie, un oiseau entré dans notre vie à la faveur d’un joli hasard et il se trouve que, si nous l’avons accueillie, elle nous a appris, elle, à parler oiseau. Gaspard, l’Amazone et moi, on la comprenait. On lui répondait. On lui parlait. »

Tout ce petit monde vit en harmonie, jusqu’au drame : l’incendie qui sépare la famille et oblige l’Amazone à confier les enfants à Lord, oncle inquiétant et violent.

Face à l’absence de leur mère, les enfants se consolent en lisant les lettres qu’elle leur envoie et rêvent de ce jour où ils pourront enfin la rejoindre, dans leur maison d’enfance, qu’elle restaure dans le sud de la France.

Mise à feu est un roman initiatique du passage de l’enfance à l’âge adulte et une profonde réflexion sur la force de l’amour, l’amitié, l’absence, la fidélité et l’imaginaire.

Ce texte est également pétri de musique, avec Wild is the wind de Nina Simone comme fil conducteur.

Nina Simone – Wild Is The Wind (Quand la musique inspire la littérature : le jazz).

Où bat le cœur du monde de Philippe Hayat aux éditions Calmann-Lévy

Où bat le cœur du monde de Philippe Hayat aux éditions Calmann-Lévy (Quand la musique inspire la littérature : le jazz). Crédit photo éditions Calmann-Lévy.

Tout commence à Tunis en 1930, dans un pays encore sous protectorat français. Un soir, alors qu’ils rentrent ensemble de la synagogue, Darius, 10 ans, et son père se font agresser. Le père décède et Darius, sous le choc, devient muet.

Heureusement, il y a la musique et plus particulièrement le jazz et la clarinette, qui lui permettent de se reconstruire et vivre.

Un magnifique roman initiatique où l’on croise Charlie Parker, Miles Davis, Dizzy Gillespie et Billie Holiday.

Mascarade de Ray Celestin aux éditions Le Cherche Midi

Mascarade de Ray Celestin aux éditions Le Cherche Midi (Quand la musique inspire la littérature : le jazz). Crédit photo éditions Le Cherche Midi.

Que vous dire de ce roman, à part qu’il s’agit d’un polar, dont l’action se déroule à Chicago en 1928, dans une ville en pleine prohibition, sous le règne d’un Al Capone alors tout-puissant.

Peut-être devrais-je ajouter, que la structure du récit est la transcription fidèle du West End Blues de Louis Armstrong ; chaque personnage constituant un élément de l’orchestration.

Louis Armstrong : West End Blues (Quand la musique inspire la littérature : le jazz).

Corps et âme de Frank Conroy aux éditions Gallimard

Nous sommes à New York dans les années 1940. Claude Rawlings est un petit garçon chétif et pauvre, né sans père, qui vit survit avec sa mère dans un sous-sol sordide.

Un jour, Claude découvre, au fond d’une pièce et sous un tas de vieux papiers, un petit piano désaccordé. Ainsi, naît une passion qui ne le quittera plus et le mènera aux plus grandes salles de concerts, jusqu’à Carnegie Hall.

Il est ici question de don, de talent, de travail acharné, mais aussi de musique ; de la rigueur du classique, jusqu’à la pulsation irrésistible du jazz : « Il entendit une variation, un embellissement en huit notes, puis une ligne d’accompagnement de basse. L’air continua à trotter dans sa tête (…). La sensation était celle de la capter, comme une personne écoute une conversation, peut-être lointaine, dans une pièce bruyante. (…) Lorsqu’il marchait, par exemple, qu’il devait faire un petit saut pour syncoper la mélodie. Ou qu’il roulait en métro, avec le claquement des roues – et que, au milieu du tumulte général, il entendait la présence d’orchestres fantomatiques jouant avec emportement. »

Un pur chef d’œuvre !

Corps et âme de Frank Conroy aux éditions Gallimard (Quand la musique inspire la littérature : le jazz). Crédit photo éditions Gallimard.

3 minutes 33 secondes de Esi Edugyan aux éditions Liana Lévi

3 minutes 33 secondes de Esi Edugyan aux éditions Liana Lévi (Quand la musique inspire la littérature : le jazz). Crédit photo éditions Liana Lévi.

Nous sommes en 1939. Entre Berlin et Paris, Sid, Chip et Hierro, deux noirs de Baltimore et un métis juif allemand, tous trois musiciens de jazz tentent de survivre.

Il en restera un enregistrement de 3 minutes et 33 secondes : « Le jazz. Ici en Allemagne c’était devenu pire qu’un virus, On était tous comme des puces, nous les Nègres, les Juifs et les voyous de basse classe, décidés à produire ce tintamarre vulgaire pour entraîner de mignonnes petites blondes dans le vice et le sexe. C’était pas une musique, c’était pas une mode. C’était un fléau envoyé par les hordes noires maudites, fomenté par les juifs. Nous les Nègres, voyez-vous, on ne pouvait nous le reprocher qu’à moitié, c’est tout bonnement plus fort que nous. Les sauvages ont un instinct naturel pour les rythmes dégradants, aucun self-control à proprement parler. Mais les Juifs, mon frère, eux ils faisaient exprès de mijoter cette musique de la jungle. Tout ça faisait partie de leur plan démoniaque pour affaiblir la jeunesse aryenne, corrompre ses filles, diluer son sang. »

Jazz de Toni Morrison aux éditions Christian Bourgois.

Jazz de Toni Morrison aux éditions Christian Bourgois (Quand la musique inspire la littérature : le jazz). Crédit photo éditions Christian Bourgois.

Voici un magnifique roman plein de bruit et de fureur. Celui d’une Amérique qui se cherche, alors qu’une musique, à peine naissante, va changer le monde.

Toni Morrison nous offre un petit bijou d’écriture syncopé, comme le jazz qui lui sert de décor : « Le soleil de biais coupe les immeubles en deux comme un rasoir. Dans la moitié du haut je vois des visages qui regardent, difficile de dire qui sont les gens, qui l’œuvre des maçons. En bas, c’est l’ombre où a lieu n’importe quel truc blasé : clarinette ou baise, des poings et les voix tristes des femmes. Une ville comme celle-là me fait rêver grand et sentir les choses. Au secours. C’est l’acier brillant qui se balance au-dessus de l’ombre qui fait ça. quand je regarde les rubans d’herbe verte le long du fleuve, les clochers des églises et les entrées cuivre et crème des immeubles résidentiels, je suis forte. »

Hakim Aoudia.

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