Russell Banks, géant de la littérature américaine !
Avec la disparition de Russell Banks le 7 janvier 2023, nous perdons un géant de la littérature américaine. Un écrivain majeur, deux fois finaliste du Prix Pulitzer, ancien président du Parlement international des écrivains et auteur d’une œuvre prolifique plusieurs fois portée à l’écran. C’était également un homme en prise avec son époque, très attentif aux évolutions du monde contemporain, notamment les injustices sociales ou raciales.
Raconter des histoires
Russell Earl Banks naît le 28 mars 1940 à Newton, dans le Massachusetts.
Il est l’aîné d’une famille de quatre enfants, issu d’un milieu extrêmement modeste : « Vers 5 ou 6 ans, j’ai commencé à raconter des histoires à mon frère jusqu’à tard dans la nuit, uniquement pour ne pas entendre mes parents se disputer en bas. L’éternel cauchemar de leur vie. Pour échapper à ça et pour mettre un peu d’ordre dans un monde qui semblait si dangereux, si près de sombrer dans le chaos, je racontais ces histoires qui sécurisent les enfants depuis la nuit des temps. J’avais la chance d’avoir ce frère qui partageait mon lit. On fixait tous les deux le plafond dans le noir, et je pouvais commencer. Deux petits garçons dans la forêt… »
Une recherche de sens
À l’âge de 12 ans, son père abandonne le foyer.
Russell Banks poursuit, tant bien que mal, ses études et obtient même une bourse de l’Université Colgate à Hamilton. Cependant, il abandonne dès le premier semestre pour se rendre en Floride : « Je suis descendu en stop vers la Floride. C’était en novembre 1958, j’avais 19 ans et je rêvais de Castro, dont la presse américaine faisait encore un portrait héroïque. C’était le bon père. Il était grand, austère, mais humain et beau. Quand je suis arrivé aux Florida Keys, il avait déjà marché sur La Havane. Comme il n’avait plus besoin de moi pour la révolution, et que je m’étais rendu compte que je ne parlais pas espagnol, je suis rentré chez moi. »

Devenir écrivain
Revenu en Floride, Russell Banks décide de devenir écrivain et se cherche des modèles : « Cette fois, mon père, c’était Hemingway. Grâce à lui, tous les jeunes écrivains apprenaient à construire une phrase, un paragraphe, une scène. J’ai loué une caravane, travaillé dans une station-service et écrit mes petites histoires. Je suis même descendu à Key West, mais Hemingway vivait alors à Cuba. »
Finalement, il jette son dévolu sur Nelson Algren, auteur de L’Homme au bras d’or et amant américain de Simone de Beauvoir : « Hemingway était un mythe. Algren était une vraie personne, auprès de laquelle je pouvais apprendre et grandir. »

Il reprend ses études en 1964, voyage (il vivra un temps en Jamaïque) et finit par enseigner la littérature contemporaine à Université de Princeton.
Family Life, son premier roman, paraît en 1975.
Une œuvre prolifique
Publié en France par les éditions Actes Sud, Russell Banks est l’auteur d’une œuvre prolifique. Voici à mon humble avis, ses cinq meilleurs romans :
- De beaux lendemains se passe dans une petite ville, au nord de l’État de New York, où un accident provoqué par un bus de ramassage scolaire provoque la mort de plusieurs enfants.
- American Darling est le portrait sans concessions d’Hannah Musgrave. Une militante et activiste idéaliste prête à sacrifier sa vie pour les causes qu’elle défend.
- Le livre de la Jamaïque est une véritable enquête ethnographique au cœur des Marrons, qui peuplent l’île des Caraïbes.
- Pourfendeur de nuages est une magnifique biographie romancée du célèbre abolitionniste américain John Brown.
- Affliction est un roman d’une noirceur absolu. Il raconte l’histoire de Wade Whitehouse, un homme meurtri, blessé qui tente malgré tout de rester debout.

Un auteur engagé
Très actif politiquement, Russell Banks a pris position contre l’intervention militaire américaine en Irak et contre le Patriot Act. De plus, il a présidé le Parlement international des écrivains créé par Salman Rushdie. Enfin, il a fondé l’organisation Cities of Refuge North America, un réseau de lieux d’asile pour écrivains exilés ou menacés.
En 2016, affirmant son soutien à Hillary Clinton, contre Donald Trump, il affirmait : « Comme écrivain, je suis chanceux. Mais comme citoyen américain, je suis pessimiste. (…) La classe moyenne s’est appauvrie, les Américains ne croient plus que leurs enfants vivront mieux qu’eux, ni même aussi bien. »
La fin du voyage
Dans Voyager, un recueil de récits parut en 2017, Russell Bank met en exergue une citation tirée des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar : « Comme le voyageur qui navigue entre les îles de l’Archipel (…) je commence à apercevoir le profil de ma mort. »
En 2022 paraît Oh, Canada, un roman puissant, crépusculaire et testamentaire, qui pose la question de la vie, de la mort et de ce qu’il en reste : « Ce qui reste de sa vie à présent, qui il est, n’est rien d’autre que ce qui se trouve sans son cerveau. Et cela n’est que celui qu’il était, rien de plus. L’avenir n’existe plus, et le présent n’a jamais existé. Et personne ne sait qui il était. »

Que dire de plus, sinon que Russell Banks, ce géant de la littérature américaine, n’a cessé de nous dire, dans son œuvre, qui il était !
Hakim Aoudia.
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