Flipette et Vénère : un hommage parfois maladroit au militantisme !
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Flipette et Vénère : un hommage parfois maladroit au militantisme !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 5 minutes

Bande-dessinée de Lucrèce Andreae parue aux éditions Delcourt, dans la collection « Enragés », Flipette et Vénère est une histoire prenante et drôle aux couleurs pop qui fait plonger Flipette et les lecteurices dans le monde de militantisme de Vénère.

Les protagonistes et l’histoire

D’abord Clara, ou Flipette, photographe de vingt-six ans qui expose ses photos dans une galerie. Il y a déjà une profondeur intéressante dans ce personnage très timide, mais intellectuelle et artiste et le look qui va avec : vêtements colorés, cheveux courts et rasés sur le côté. Elle est blonde et lumineuse.

Sa sœur, Axelle, a vingt ans. Elle est Vénère, se bat au quotidien contre la misère et le système qui l’entretient. Militante à plein temps, elle vit où elle peut. Elle est sauvage et porte en elle la souffrance de ses combats.

Clara reçoit un appel de sa mère : Axelle, à qui elles n’ont pas parlé depuis trois ans, s’est cassé la jambe. Elle lui demande d’aller à Paris pour aider sa sœur, malgré les protestations de Clara, qui a peur d’être rejetée. Axelle lui demande effectivement de repartir, mais Clara insiste et la suit. Elle entre alors dans le monde d’Axelle et cherche en parallèle une idée pour le projet d’exposition qu’elle doit présenter rapidement à un concours.

Un hommage bienveillant

On apprécie le moment où Clara rencontre les ami-e-s d’Axelle, dans un appartement où tout le monde fume des joints en parlant politique d’un air assuré, avec des bouteilles de bière vides un peu partout et une pancarte où l’on peut lire « ACAB », All Cops Are BastardsTous les flics sont des bâtards », en français). On y retrouve le folklore militant un peu cliché, mais qui a la vraie couleur des soirées « veille de manif ».

Flipette et Vénère : un hommage parfois maladroit au militantisme !

Plus tard, alors que Clara remplace sa sœur dans sa vie militante et sociale, on découvre le travail bénévole et dévoué qu’iels fournissent : aider les migrant-e-s régulièrement délogé-e-s par la police, faire des collectes, sortir les jeunes du foyer de leurs quotidiens gris, aider un adolescent à la dérive.

Une présentation de l’association à Clara par l’une de ses membres

« Alors notre credo, c’est de lutter contre l’exclusion, la grande précarité, le gaspillage. On est un lieu pluridisciplinaire autogéré qui accueille des gens très éloignés de l’emploi et favorise leur réinsertion. On fait du déchet un moyen de se réapproprier ensemble et de manière citoyenne des enjeux communs de la société dans laquelle on vit, plutôt que d’en faire un intérêt commercial ou industriel. Déjouer le jeu de l’obsolescence programmée, politique du prix très bas. Capacité des gens à s’autodéterminer. Stigmatisation. Gentrification. Alternative. Réappropriation de l’espace urbain. Société de consommation et du prêt-à-jeter. Nos missions : collecte, tri et revalorisation, redistribution et éducation à l’environnement. »

Flipette et Vénère : un hommage parfois maladroit au militantisme !

Notons et apprécions au passage l’utilisation excessive de jargon militant qui conduit Clara à ne retenir que les mots-clés.

Il y a des moments comme ça où on peut ressentir un regard intérieur, notamment avec une citation de Georges Brassens page 63 : « Dès qu’il s’agit de rosser les cognes tout le monde se réconcilie. », l’organisation de la manifestation, le nom de l’association : « Pourquoi ça s’appelle La Pieuvre ? « La Pieuvre Noix de Coco » pour être exacte. C’est une pieuvre qui récupère les coquilles d’autres animaux pour s’y abriter. »

Celles et ceux qui sont familier-e-s du milieu des squats apprécieront la métaphore. De plus, les différents courants de pensée et les personnalités des militant-e-s aussi sont d’un réalisme bienveillant appréciable.

…Mais maladroit et presque dévalorisant

Tout ça se mêle à une distance critique qui rend le propos général un peu flou.

Flipette et Vénère : un hommage parfois maladroit au militantisme !

Ça n’est même pas parce que Clara est si dépolitisée et naïve que c’en est caricatural, puisque c’est ce parti pris qui nous permet de plonger dans cet univers avec des yeux novices. Je pense surtout aux dialogues avec Sonia. Bénévole à La Pieuvre, elle n’appartient pas à ce monde et le revendique. C’est essentiellement dans ses bulles que l’on trouve la critique des militant-e-s.

Avant de m’attarder sur ce discours, je souhaite néanmoins remarquer que la multiplicité des visions, des positions et des discours concernant le militantisme et ses militant-e-s sert l’ambition évidente de rendre le propos le plus objectif possible. Læ lecteurice se sent alors libre de formuler son propre avis sur cet univers. Mais l’enthousiasme de Sonia à avoir avec elle une « vraie meuf » « épilée » et son ton laisse entrevoir un certain paternalisme et ses propos étonnent par un manque évident de culture militante.

À la page 112-113, Sonia parle à Clara des militant-e-s de l’association. Elle les appelle « squatteurs » et dit que c’est une « façon de parler », qu’on pourrait aussi les appeler « alternatifs énervés ». Or, dans les milieux militants, les mots comptent et beaucoup de militant-e-s ont tendance à être assez à cheval sur les mots qui les désignent. « Alternatifs énervés » n’est pas une mouvance. Et « squatteurs » désignent strictement les personnes vivant en squat. Néanmoins, on comprend bien sûr l’idée que l’on soit familier-e ou non de ces milieux. Le terme réel qu’on utiliserait serait sûrement « toto », qui vient de « autonomes », mouvance libertaire.

Dans cet extrait,

Sonia dit juste. Mais il y a ce quelque chose dans son ton qui laisse apercevoir un point de vue légèrement négatif sur le combat qu’elle décrit :

« J’y connais rien du tout moi à ce milieu-là. Ils squattent parce qu’ils n’ont pas de quoi payer un loyer ? Ouh là, non, pas seulement, c’est bien plus philosophique que ça ! À les entendre, c’est un geste militant, c’est un mode de vie choisi et revendiqué. Ils vivent dans les interstices d’un système qui laissent des milliers d’espaces vacants alors que des gens crèvent de froid dans la rue. »

On en parle parce qu’elle nous a plu

Là où la BD réussit, c’est en nous entraînant à la suite de Clara dans sa prise de conscience. En écoutant des discours qu’elle ne connaît pas, en étant forcée à regarder la réalité du monde en face, Clara change de monde. Elle qui ne savait pas ce qu’était le Brexit, elle se retrouve submergée par tout ce qui se passe, dans le monde entier, mais aussi juste sous ses fenêtres. C’est un trop plein d’informations désespérantes que nous connaissons toustes. Il y a tant de choses contre lesquelles se révolter. C’est peut-être ce qui a rendu Axelle seule, triste et amère. Désenchantée. « Le premier militant qui passe, il rigole à entendre ça. On n’est pas cons, on a compris depuis bien longtemps qu’on n’y changerait rien à ce monde de merde. », dit-elle, à la page 197. En somme, elle se bat pour ne pas rien faire, elle est dans la lutte pour y être.

Cette vision vient choquer celle de Clara, adepte des petits gestes, qui fait attention à ce qu’elle mange, à ce qu’elle achète et qui consomme responsable.

Flipette et Vénère : un hommage parfois maladroit au militantisme !

Il y a une grande variété de points de vue dans Flipette et Vénère. Et Lucrèce Andreae dit qu’elle ne sait pas au fond qui a raison. Sa BD se lit comme un hommage, parfois maladroit, à celleux qui se battent au quotidien, en essayant de retranscrire au mieux la diversité de personnes qui constituent le militantisme et la complexité de ces personnalités.

Lou Gasparini.

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