Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes !
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Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 7 minutes

Portraits de femmes inspirantes !

Sorti le 30 novembre 2022 dans les salles de cinéma françaises, le dernier film de la réalisatrice Blandine Lenoir, Annie Colère, retrace les luttes des femmes en 1974 pour le droit à l’avortement. Avant la loi de 1975, portée par Simone Veil pour la légalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse, d’autres femmes ont lutté pour obtenir ce droit et ont été oubliées. Annie Colère nous entraîne dans la France de 1974, au côté d’Annie, une ouvrière qui, après son avortement, rejoint les militant-e-s du Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception. Le film de Blandine Lenoir raconte surtout l’histoire du corps des femmes et la solidarité féminine.

Un droit en danger

Le 7 octobre 2022, la députée France Insoumise Mathilde Panot a présenté un projet de loi garantissant le droit à l’IVG en l’intégrant dans la Constitution. Celui-ci n’étant pas été voté tel quel, il sera rediscuté à l’Assemblée après son examen par le Sénat. À ce moment-là, l’association anti-IVG « En marche pour la vie », qui avait notamment rejoint La Manif Pour Tous pour s’opposer à la légalisation du mariage pour tous en 2013, avait organisé une manifestation à Paris réunissant selon eux 20 000 manifestant-e-s.

Après le  récent recul du droit des Américaines à avorter librement, ce mouvement inquiète. En effet, l’avortement est un droit fondamental et intouchable pour garantir aux femmes la possibilité de disposer librement de leur corps. Simone Veil, ministre de la Santé, défendant son projet de loi en 1975, le disait bien : il s’agit d’une question de santé publique.

IVG dans la constitution : « on ira jusqu’au bout ». (Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes ! Portraits de femmes inspirantes !).

Comme bien souvent,

on peut compter sur les artistes pour s’emparer des sujets de société et nous offrir leur regard sur les questions qui divisent.

En novembre 2021, les salles de cinéma jouaient L’Événement d’Audrey Diwan, adapté du roman autobiographique d’Annie Ernaux, qui raconte le parcours d’une jeune femme en 1963 pour avorter. Plus récemment, en octobre 2022, en plein milieu donc des débats pour l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, sortait Simone, le voyage du siècle d’Olivier Dahan, un biopic de Simone Veil. Avec Annie Colère, Blandine Lenoir vient assurer la place de la question de l’avortement dans le paysage et l’actualité culturelles. Ainsi, le cinéma semble conserver son rôle d’éducation populaire en mettant en scène les destins, les vies et les luttes de celles qui ont participé à sécuriser l’émancipation de toutes les Françaises.

L’ÉVÉNEMENT – Bande-annonce. (Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes ! Portraits de femmes inspirantes !).

De la même manière,

Blandine Lenoir a réalisé Monsieur l’abbé, un court métrage adapté d’un essai Martine Sevegrand : L’Amour en toutes lettres. Cet ouvrage est constitué de 120 lettres de catholiques des années 1920 à 1930, qui expriment à un prêtre leur souffrance en posant des questions autour de la sexualité.

La réalisatrice explique que la conception de ce film part d’un sentiment de colère, suite aux différentes manifestations contre l’avortement. Avec ce sentiment de régression par rapport aux droits des femmes, mais également des couples, elle s’est posé la question : comment était la sexualité avant la contraception ? Et c’est cette interrogation qui l’a amenée à faire ce film.

Monsieur l’abbe de Blandine Lenoir (extrait). (Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes ! Portraits de femmes inspirantes !).

Une lutte oubliée

Dans la lutte pour le droit à l’IVG, on pense forcément à Simone Veil et la loi qu’elle a portée en 1975. Comme bien souvent, ce sont les grandes figures, celles qui ont permis la bascule finale que l’Histoire retient.

De la même manière que pour la lutte des Droits Civiques aux États-Unis on retient Rosa Parks comme « la femme s’étant assise à l’avant du bus » en omettant de mentionner les tentatives précédentes, les milliers de militant-e-s du mouvement et même le statut de militante de Rosa Parks ; trop de personnes aujourd’hui ignorent encore l’existence et l’importance du MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception).

C’est d’ailleurs en entendant parler de ce mouvement que Blandine Lenoir a voulu réaliser Annie Colère

Choquée de connaître le MLAC si tard dans sa vie et révoltée que ce mouvement ne soit pas plus mis en avant, la réalisatrice a eu envie, dit-elle « de rétablir une sorte de vérité historique ».

Dès lors, il s’agissait pour elle de rendre hommage aux militant-e-s du MLAC et de rappeler que « les droits s’arrachent de haute lutte, les gouvernements ne font pas cadeau de droits ». De plus, il est effectivement important de rappeler que ce sont les corps des femmes ayant subi les conséquences des avortements clandestins, ainsi que les corps des militant-e-s qui ont permis à la politique de s’emparer de ce sujet pour changer la loi.

Droit à l’avortement : le combat pour d’une ancienne militante du MLAC. (Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes ! Portraits de femmes inspirantes !).

Parler du corps des femmes

Par ailleurs, il n’est pas étonnant que Blandine Lenoir s’attelle à la question de l’avortement. En effet, celle qui a été actrice est passée derrière la caméra pour remédier au triste constat que le cinéma manquait de réelles représentations féminines. Ainsi, elle s’attache à faire des films qui mettent les corps des femmes au centre.

Dans Zouzou (2014), trois générations de femmes : grand-mère, mère et fille, viennent à discuter ensemble de sexualité. Avec Aurore (2016), Agnès Jaoui incarne une femme de 50 ans qui embrasse sa liberté retrouvée après son divorce, refusant d’accepter ce que la société attend des femmes de son âge : se retirer doucement, se faire discrète.

Sexualité, âge, avortement, Blandine Lenoir s’attaque aux tabous et participe à porter la voix des femmes pour faire sortir leurs corps de l’ombre.

ZOUZOU de Blandine Lenoir, Bande Annonce. (Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes ! Portraits de femmes inspirantes !).

Les mouvements de libération féministes des années 1960,

et parmi elles Christine Delphy et Diana Leonard, nous ont livré une idée importante : le privé est politique. C’est notamment ce qu’ont permis de confirmer des mouvements plus récents comme #MeToo, lancé en novembre 2017, ainsi que les mouvements ayant permis à des mots comme « féminicide » de se faire une place dans le débat public.

Ainsi, le féminisme est bien plus qu’un simple débat d’idée ou que des théories nées dans un milieu universitaire. Mais, il s’agit avant tout de faire cesser les violences physiques et symboliques qui pèsent sur les corps des femmes.

Christine Delphy – Le genre précède le sexe. (Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes ! Portraits de femmes inspirantes !).

Une esthétique de la sororité

Au-delà du sujet lui-même, c’est l’image travaillée dans Annie Colère qui a marqué la critique et le public. Blandine Lenoir a choisi de nous plonger au plus près du cœur des luttes du MLAC. C’est le personnage de l’ouvrière Annie qui mène les spectateurices dans le mouvement, ses actions, mais aussi et surtout : les avortements dans les conditions de l’époque.

Le film met en scène six scènes d’avortement, ce qui est, comme le dit la réalisatrice « plus que dans toute l’histoire du cinéma » ! Il était important pour elle d’offrir au public une véritable représentation de ce qu’ont été les avortements avant l’adoption de la loi Veil ; les lieux, les personnes qui les réalisaient, les gestes que ces personnes effectuaient.

ANNIE COLÈRE – Bande-annonce. (Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes ! Portraits de femmes inspirantes !).

Annie Colère ne glamourise, ni ne dramatise cette pratique clandestine.

Il s’agit simplement de montrer, sans choquer, sans violence, ce que ces femmes ont vécu. Une représentation au plus près possible d’une vérité historique, qui reflète « la tendresse qui pouvait se développer alors ».

On peut y voir comme une « esthétique de la sororité ». C’est vrai que les scènes d’avortement au cinéma sont rares et donc marquantes. Vous avez peut-être vu Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma sorti en salles en 2019. Ce film avait la particularité de ne faire apparaître que très peu de personnages masculins. Dans cette bulle en non-mixité, on peut voir l’avortement d’une jeune domestique chez une femme du village voisin. Je me souviens d’avoir été touchée par cette représentation de solidarité intime entre femmes, une entraide permise par une connaissance de nos corps.

Portrait de la jeune fille en feu – Bande-annonce. (Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes ! Portraits de femmes inspirantes !).

La médicalisation du corps des femmes

C’est aussi en cela que des films comme Annie Colère sont primordiaux. Il s’agit de connaître l’histoire d’une lutte, mais surtout l’histoire d’une pratique. Blandine Lenoir tenait vraiment à montrer les gestes de celles qui pratiquaient les avortements clandestins. Il y a toujours eu des avortements. Les femmes se sont transmis pendant des générations les connaissances et savoir-faire sur leurs propres corps, pour prendre soin les unes des autres. Petit à petit, la médecine a fait des progrès, permettant d’assurer un meilleur accès aux soins pour toustes. On a ainsi pu réduire les risques liés aux grossesses et accouchements difficiles, donner accès à des moyens contraceptifs… mais surtout en apprendre plus et mieux communiquer sur des sujets tels que : les règles, le clitoris.

Seulement, aujourd’hui,

de plus en plus de féministes dénoncent une surmédicalisation du corps des femmes et la perte de connaissances que celles-ci ont sur leurs propres corps, par rapport à des générations plus anciennes. Grâce au mouvement #MeToo, beaucoup de femmes ont pu témoigner des violences obstétricales et gynécologiques qu’elles avaient subies de la part de personnel médical. On trouve alors aujourd’hui de nombreuses initiatives d’éducation, de pédagogie, pour inciter les femmes à connaître leur corps et pouvoir s’observer, prendre soin d’elles-mêmes et de celles qui les entourent.

Annulation du droit à l’avortement aux États-Unis : après #Metoo, un retour en arrière. (Annie Colère et Blandine Lenoir, médicalisation du corps des femmes ! Portraits de femmes inspirantes !).

Enfin,

si l’avortement peut être encore aujourd’hui une expérience traumatisante, notamment lorsqu’il est fait à l’hôpital, et s’il n’est jamais un geste anodin, il me paraît important de participer à le démystifier.

J’insiste encore sur la beauté des scènes de solidarité féminine dans Annie Colère. Si nous avions vécu à cette époque-là, avec cette amie que j’avais accompagnée chez le médecin puis qui avait passé le dimanche chez moi à regarder Gilmore Girls sous la couette en caressant mon chien, nous aurions été à la place des femmes de ce film.

Alors merci au MLAC et merci à Blandine Lenoir de leur rendre hommage !

Lou Gasparini

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