Habiter les brèches de la ville : les squats !
Squat (livres) Mal logement (livres) Lola Lafon Marion Brunet Flipette & Vénère

Habiter les brèches de la ville : les squats !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 6 minutes

Le 31 mars sonne la fin de la trêve hivernale. Entre le 1er novembre et le 31 mars, il est illégal d’expulser une ou des personnes occupant un logement sans l’accord des propriétaires, celles et ceux n’ayant plus les moyens de payer un loyer, ou qui sont en fin de droits. À compter de la fin de la trêve, ces personnes ne sont plus protégées par ce versant du droit au logement. Par ailleurs, ces dernières années, la loi se renforce de plus en plus en faveur des propriétaires. Parce qu’iels n’ont pas le choix, mais aussi dans un désir de renverser le rapport de force entre droit au logement et droit de propriété, des personnes ouvrent et vivent en squat. Quel est ce mouvement ? Que veut dire « habiter la ville » quand on s’insère dans ses brèches ? Que souhaitent nous dire ces personnes, que défendent-elles, quels risques prennent-elles et pourquoi ?

Quand habiter la ville devient impossible…

La France est, à ce jour, la septième puissance mondiale et la troisième puissance économique en Europe. Pourtant, la Fondation Abbé-Pierre comptait en 2013, à partir d’une étude de l’INSEE, 4, 15 millions de « mal-logés », c’est-à-dire des personnes logées dans des conditions précaires ou insalubres.

Dans son rapport annuel publié mercredi 1er février 2023, la Fondation Abbé Pierre dénombrait 330 000 personnes sans-domicile fixe en France : 200 000 personnes en hébergement d’urgence ; 110 000 migrant-e-s en centre d’accueil ou hébergement pour demandeurs-euses d’asile ; environ 27 000 personnes sans abri. Ce chiffre aurait augmenté de presque 130% depuis 2012, selon l’INSEE.

Comme on peut aisément l’imaginer, la crise du COVID puis la guerre en Ukraine et l’inflation colossale qui en découle n’ont fait qu’accentuer la précarité.

Mal-logement sur tableau blanc – Fondation Abbé Pierre. Habiter les brèches de la ville : les squats !

Le cas des étudiants

Beaucoup se souviendront des images choquantes d’étudiant-e-s faisant la queue par centaines devant les Secours populaires et autres cantines solidaires durant le confinement. Celles et ceux qui sont nombreux-es à avoir vu le montant de leur bourse revu à la baisse ; dont la santé mentale est plus que jamais abîmée par le contexte politique et écologique mondial ainsi que par les mois d’isolement dus aux confinements ; se sont vus refuser la mesure leur garantissant les repas CROUS à 1€.

Ces étudiant-e-s subissent comme les autres l’augmentation considérable des loyers, l’obligation d’avoir un-e garant-e pour faire accepter leur dossier, l’attente interminable sur les listes d’attribution de logements sociaux et tant d’autres obstacles. Du côté des propriétaires, c’est une autre réalité : un quart des ménages possède les deux tiers du parc des logements.

État des lieux du mal logement et solutions face à ce fléau. Habiter les brèches de la ville : les squats !

… ce sont les squats qu’on passe au crible

Pourtant, la loi DALO (Droit Au Logement Opposable), votée en 2007, est censée garantir aux personnes résidant en France de façon régulière un logement décent et indépendant. Le Haut Conseil pour le droit au logement a publié en mai 2022 son rapport « 15 ans après la loi DALO, un nécessaire rappel à la loi ». Sur les 1 029 958 recours déposés, 333 848 ménages ont été reconnus au titre du DALO entre 2008 et 2020, et 77 684 ménages attendent encore un logement (dont 64 994 en Île-de-France). La Cour des comptes estime qu’une réforme du droit au logement est nécessaire pour pallier ces problèmes alarmants. Une proposition de loi a effectivement été déposée par la majorité. Le texte dit « Kasbarian – Bergé » (des noms des députés macronistes portant la proposition) a été adopté en première lecture à 252 voix contre 91 au Sénat le 3 février 2023.

Qu’est-ce que le droit au logement opposable ? Habiter les brèches de la ville : les squats !

Ce texte renforce les droits des propriétaires,

et vise à lutter contre les squatteurs. Loyers impayés, locataires restant au-delà de la durée de leur bail : les sanctions vont augmenter et les propriétaires pourront plus facilement résilier le bail en cas d’impayés. La loi comprend cependant une nouveauté : elle permettra notamment d’expulser et de sanctionner les personnes occupant des logements non meublés, que les jugent choisissaient jusque là bien souvent de ne pas condamner. Le DAL, association de lutte pour le droit au logement, ainsi que la Fondation Abbé-Pierre et plusieurs spécialistes du logement, dénonce l’inutilité de cette loi, qui ne s’attaquerait pas aux racines du problème. En effet, il peut paraître étonnant de renforcer la répression envers celles et ceux qui ne font que subir les conséquences d’un système injuste dont iels sont les perdant-e-s.

Habiter les brèches de la ville : les squats !

Dans les brèches

Cette loi est surnommée la « loi anti-squat ». Mais que sont vraiment les squats ? Qui sont les squatteurs ? Un locataire qui ne parvient plus à payer son loyer, mais qui reste dans son logement le plus longtemps possible pour ne pas se retrouver à la rue ? Nous souhaitons ici plutôt parler du mouvement militant issu de la mouvance autonome. Les autonomes s’inscrivent dans la pensée libertaire et remettent en cause le système établi, notamment le capitalisme et l’État. Les autonomes ont dans leur histoire la pratique du squat, qui consiste à occuper un bâtiment vide et y vivre en communauté autogestionnaire.

Une fièvre impossible à négocier

Ainsi, ce bâtiment devant lequel vous passez tous les matins en allant au travail, ces anciens bureaux vides depuis des années, se verra peut-être un jour investir par ces occupant-e-s qui ont l’œil et qui cherchent un nouvel espace à habiter. En 2003, Lola Lafon publie son premier roman : Une fièvre impossible à négocier. Cette fiction autobiographique raconte les années où Landra a rejoint les autonomes et les squats. Lola Lafon y écrit (p.37) :  « Le squat s’est fait vider, un matin. Les carreaux se sont effondrés, le GIGN est entré par les fenêtres, les portes, armes au poing. C’est très triste de se réveiller avec un revolver sur la tête et ses affaires déchiquetées, quand on a juste voulu fédérer des envies enroulées dans des duvets. » Les squatteurs représentent-ils une telle menace qu’il faut envoyer une unité militaire entraînée à faire face aux terroristes pour les évacuer ?

Habiter les brèches de la ville : les squats !

Pour tenter de mieux comprendre, voici le Manifeste d’un squat écrit à Grenoble en 2001 :

RÉAPPROPRIATION de l’espace

L’espace, c’est fichtrement important.

Essentiel pour se loger : un toit et quatre murs pour s’abriter, un sol pour poser son lit, ses meubles… Essentiel pour mener une activité : de la place pour un bureau ou un chevalet, de la place comme matériau de base, préalable à toute utilisation ou entrepôt de matériel plus sophistiqué, de la place comme support de toute création, de tout projet.

On mure des espaces vides !

D’un côté il y a des tas de personnes qui veulent survivre ou vivre mieux, créer ou agir, et pour qui l’espace est ultra-précieux, des tas d’assos qui languissent sur la liste d’attente de la Maison des Associations, des tas d’artistes sans atelier, de groupes sans local de répète, de troupes sans planches. De l’autre, il y a des tas d’espaces, abandonnés, évidés, barricadés, qui pourrissent lentement derrière les bas-côtés. Le pire, c’est que leur vacuité est soigneusement entretenue et protégée ! Afin de satisfaire les logiques pas franchement humaines du marché (spéculation, lointains projets pharaoniques…) ou des grosses machines étatiques (hésitations, lenteurs de l’administration…). Donc voilà, le paradoxe est trop gros pour que l’on ait des scrupules à contrarier ces logiques et à leur préférer des maisons pleines de gens, de projets et d’étincelles.

L’espace, mort ou vif ?

Il y a des béances au milieu des villes… Des arpents silencieux, endormis ou défunts, des cadavres. Des mètres et des mètres carrés que les décideurs économiques ou politiques ont laissés de côté. Nous nous glissons dans ces vides intermédiaires, interstitiels, nous les animons tant qu’ils ne sont pas réintégrés dans les rouages de notre société, et tant que nous ne trouverons pas notre zone d’autonomie permanente. Nous maintenons en vie à la fois des envies, des canevas, des idées, et des espaces. Nous permettons à nos voisin-e-s d’ouvrir leurs volets non plus sur des friches, mais sur des visages, des voix et des couleurs.

L’espace habité à fond.

Pas d’état des lieux dans un squat. Aucune objection à l’abattage de cloisons, à la pose de rampes, d’éoliennes, de gargouilles, de planchers vallonnés, de cours d’eau suspendus et de corridors en spirale. Finis les édifices identiques, les dimensions standard et les règles anguleuses de lointains propriétaires. Vive les maisons qui suintent et qui bourdonnent, les maisons façonnées par ceux et celles qui les vivent. Habiter ne veut plus dire avoir juste un cadre pour nos préoccupations routinières et nos repos journaliers, mais répandre dans notre environnement immédiat le contenu fastueux de nos imaginaires, de nos cœurs et de nos caractères. Pour que ce droit ne soit plus réservé aux gens qui ont assez de briques dans leur bourse pour devenir proprios. Et pour que la ville entière devienne un musée habité. »

Alors bien sûr, il y a différents types de squat et nous ne parlerons pas ici des squats de migrant-e-s, qui ne s’inscrivent pas en premier lieu dans une démarche militante, mais dans une nécessité de survie. Nous ne parlerons pas non plus des « squats » d’artistes qui occupent temporairement des lieux et passent généralement des accords d’occupation pour travailler et montrer leurs œuvres.

Habiter les brèches de la ville : les squats !

Des idéaux, des espoirs

Je vous invite à écouter ici ma conversation avec Juliette, Rouge et Lotta, qui sont en pleine ouverture de leur nouveau squat. Vous pourrez entendre leurs rêves, leur colère, leurs rires, leur amitié, leurs projets, leurs inquiétudes…

Lou Gasparini

Pour aller plus loin

Article CulturAdvisor : Flipette et Vénère : un hommage parfois maladroit au militantisme

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