Gameuses, le jeu vidéo et le genre !
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Gameuses, le jeu vidéo et le genre !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 10 minutes

Portraits de femmes inspirantes

Emblème de la culture populaire, énorme industrie, le jeu vidéo a mauvaise réputation. Pourtant, autour de moi, il y a des gameuses inspirantes. Alors je suis allée questionner ces jeunes femmes de mon entourage qui ont une pratique et une culture des jeux vidéo pour en apprendre un peu plus sur ce champ artistique et culturel trop souvent oublié ou fustigé. N, D, L, J et A ont répondu à mes nombreuses questions avec beaucoup d’enthousiasme ! Pour le premier volet de cette série de contenus, vous allez pouvoir lire ce qu’elles ont à dire sur le lien entre le jeu vidéo et le genre.

Tirer le portrait des gameuses

J’ai posé à ces cinq jeunes femmes beaucoup de questions, tout me semblait pertinent ! Alors nous avons décidé de ne pas tout mettre d’un coup pour vous éviter l’indigestion, et de faire de ces portraits croisés une série de contenus, qui ne seront peut-être pas uniquement écrits…

Elles ont toutes commencé à jouer assez jeunes et même si certaines s’éloignent parfois du jeu ou de son actualité.

Le jeu vidéo semble les avoir accompagnées tout au long de leur vie et tient encore une place importante dans leurs pratiques culturelles. Je m’y attarderai lors d’un autre épisode de cette chronique, mais je voulais souligner que j’ai été marquée par une réponse qui est revenue dans chacun des cinq témoignages « jouer m’aide à me détendre, à ne plus penser quand je ne vais pas bien. »

Ainsi, toutes jouent plutôt seules, certaines parfois en famille ou entre ami-e-s, mais pour chacune, le jeu vidéo est un refuge. Un moyen aussi d’apprendre, tant sur le monde que sur elles-mêmes.

Ce qui est beaucoup revenu aussi, c’est que leurs autres pratiques culturelles rejoignent les jeux qu’elles apprécient. Que ce soit au niveau du type d’univers, des sujets ou de l’esthétique. Mais presque toutes ajoutent que le petit plus des jeux vidéo, c’est ce plaisir de l’immersion totale et le fait de participer soi-même à l’intrigue ou à l’univers fictionnel.

Le jeu vidéo et le genre

Pour ce premier épisode des Portraits croisés de gameuses que nous publions à l’occasion de notre dossier pour la semaine du 8 mars, il était évident que nous nous concentrerions sur les questions du genre. Pas seulement parce qu’il s’agit du point de départ de l’enquête, mais précisément parce que le genre va constituer notre prisme, notre manière d’aborder la culture du jeu vidéo. Comme un fil rouge qui liera tous les autres sujets auxquels on s’attardera dans cette série.

Conférence du 18 juin 2013 : « Les jeux vidéo ont-ils un genre ? » avec Fanny Lignon, Maîtresse de conférences en études cinématographiques et audiovisuelles, Université Claude Bernard Lyon I, Mar_Lard, gameuse féministe, auteure de nombreux articles dénonçant le sexisme des jeux vidéos et Usul, chroniqueur de jeux vidéo. (Portraits de femmes inspirantes : gameuses, le jeu vidéo et le genre !).

Voici la question qui a inspiré les réponses qui vont suivre :


En ce qui concerne le Jeu vidéo et le genre (ou autre race/handicap/maladie/,etc.) : qu’aurais-tu envie de dire ? Est-ce que ton genre/identité de genre/orientation sexuelle (pareil, ou autres) change ton rapport au jeu vidéo ? Est-ce que tu as vécu un épisode marquant que tu aurais envie de raconter ? Est-ce que tu constates une évolution ?

Le jeu vidéo, culture à part entière, n’échappe pas au sexisme qui empreint le reste de la société. Vous aurez sûrement en tête les images stéréotypées de personnages d’hommes très virils et musclés, et de personnages de femmes très sexualisés. On le sait, il y a aussi des affaires de harcèlement envers des joueuses ou des streameuses, notamment de la part de mouvements masculinistes. Mais il m’a suffi d’entendre parler les gameuses de mon entourage pour comprendre qu’il y avait bien plus à dire sur le lien entre jeu et genre. N et A, par exemple, ont envie de célébrer les progrès qu’elles ont pu constater :

Des progrès

N : « Le jeu vidéo étant un médium culturel, on peut voir, selon moi, comme dans les autres milieux culturels, les sujets féministes, les questions LGBTI, les luttes antiracistes, etc., se développer. Et de de plus en plus d’acteurices du milieu du jeu vidéo ouvertement LGBTI qui se font un nom : comme Lena Raine, compositrice de musiques de jeux vidéo et femme transgenre. »

A : « Je pense que le milieu du jeu vidéo, comme celui de l’animation, peut parfois être très ouvert, bien plus que d’autres milieux culturels comme celui du livre. Les Sims ont été les premiers à donner la possibilité d’incarner un personnage homosexuel dans les années 2000, et offrent maintenant la possibilité d’être trans ou non-binaire. Dans Dragon Age ou Mass Effect, on a également des personnages homo et trans, ce qui est super agréable ! Il me semble même avoir lu que Lara Croft sera lesbienne dans le prochain jeu dont elle sera l’héroïne. Certes, les personnes assez fermées d’esprit qui ne jouent qu’à GTA ou à Fifa râlent quand ils voient des minorités représentées, mais cela est commun à l’ensemble des milieux et je pense que le jeu vidéo a un grand rôle à jouer dans l’évolution des mentalités, car il est plus facile d’y trouver des personnes elles-mêmes issues de ces minorités sous-représentées. »

Conférence du 18 juin 2013 : « Les jeux vidéo ont-ils un genre ? » avec Fanny Lignon, Maîtresse de conférences en études cinématographiques et audiovisuelles, Université Claude Bernard Lyon I, Mar_Lard, gameuse féministe, auteure de nombreux articles dénonçant le sexisme des jeux vidéos et Usul, chroniqueur de jeux vidéo. (Portraits de femmes inspirantes : gameuses, le jeu vidéo et le genre !).

Un sexisme encore dominant

L a souhaité dénoncer le sexisme encore prédominant du monde du jeu vidéo, mais constate, elle aussi, des évolutions : « Je constate une évolution au niveau du genre, mais ça reste un milieu masculin. L’importance des streameuses, le fait qu’elles parlent de leur cyberharcèlement, que ce soit relayé par des streamer hommes, c’est vraiment chouette. Après tout le côté queer bon, ce n’est pas encore ça, mais ça viendra. C’est compliqué d’être une fille dans ces milieux quand on joue en ligne, ce que je ne fais pas, ou très peu. Sur Dofus il y a un tchat sur le serveur sur lequel tu es, moi je l’utilise pour le coop (coopération), demander de l’aide ou rejoindre des équipes, mais je recevais souvent des messages comme « Envoie ton snap »… Mdr yes lol t’as 12 ans calme-toi (mon pseudo c’est prunegirl souvent donc je suis repérée, je prends toujours un perso féminin aussi). J’ai écrit un article sur le genre dans Zelda : il y a eu une évolution du jeu quand ils se sont rendu compte que les joueurs de la licence sont presque à 50% des femmes. »

Dans la peau d’une gameuse le temps d’une partie… (Apecks). (Portraits de femmes inspirantes : gameuses, le jeu vidéo et le genre !).

Choisir des personnages féminins

C’est bien leur expérience liée à leur usage des jeux vidéo et leur observation de cette culture qui nous intéresse. J nous raconte comment elle a façonné ses pratiques pour éviter de se confronter au sexisme : « Quand j’étais petite, je jouais à un jeu éducatif qui s’appelle Le club des trouve-tout et que j’aimais beaucoup. Il y avait pas mal de diversité dans les personnages, en termes de genre ou de couleurs de peau. J’aimais bien aussi parce qu’on pouvait incarner une meuf. Je pense que c’est pour ça que, plus tard, le jeu Super Princess Peach sur la DS m’a attiré. Ça me plaisait de pouvoir jouer un personnage féminin. J’avais du mal à m’identifier à des personnages de mecs dans les jeux, sauf peut-être dans Super Mario où je changeais souvent de personnages. Dans Super Princess Peach, ce n’étaient pas des fleurs ou des étoiles qui donnaient des pouvoirs, comme dans Mario, mais les émotions du personnage ! Quand j’y repense, je trouve ça incroyable. Mais je me souviens qu’à l’époque, ça m’a interrogé cette histoire des émotions et l’image semblait cheap par rapport à Mario. Maintenant, mais depuis longtemps, quand je joue avec mon frère ou toute seule, quand on peut choisir un genre, je cherche toujours à jouer un personnage féminin. Je connais le cliché sexiste et je n’ai pas envie d’y coller ! Et sinon, je vais plutôt vers des jeux dont l’intrigue n’est pas sexiste, je ne supporte pas ça ! Ça a toujours eu une importance pour moi. Je suis plus attentive aux enjeux de choix de personnages, maintenant que je sais que j’ai le choix. Je n’ai pas envie de jouer un mec ! Bon, sauf dans Zelda, parce que j’ai toujours aimé ce jeu et qu’il est fait comme ça. Mais je ne sais pas pourquoi, sûrement inconscient militant… surtout maintenant ! Mais c’est présent depuis toujours, comme une conscience féministe de fond, qui fait que j’accorde de l’importance à la représentation. »

Éviter le sexisme

Après, dans les streams, je regarde plutôt des streameuses, que j’ai connues seule ou qu’on m’a conseillées. Il y a principalement Lexi que j’aime bien : elle joue, plein de jeux différents à des horaires différents, donc je sais que je peux la regarder un peu tout le temps ! Je sais que le dimanche, il y a les « Soirées bla-bla » avec son tchat où elle aborde souvent des questions de société, des sujets progressistes, elle parle aussi souvent de self-care etc. Elle est vraiment bienveillante et sa communauté aussi ! Je l’ai découverte en été 2020 et j’ai commencé surtout parce qu’elle joue à des jeux indés.

J’ai vu beaucoup de streams où il y a encore du sexisme, etc., mais j’ai trouvé rapidement les bonnes streameuses. C’est parce que je sais faire mes recherches, je trouve les endroits safe et j’aide à les faire perdurer en faisant attention à ce qui se dit sur le tchat et en alertant sur ce qui n’est pas OK ! »

Conférence du 18 juin 2013 : « Les jeux vidéo ont-ils un genre ? » avec Fanny Lignon, Maîtresse de conférences en études cinématographiques et audiovisuelles, Université Claude Bernard Lyon I, Mar_Lard, gameuse féministe, auteure de nombreux articles dénonçant le sexisme des jeux vidéos et Usul, chroniqueur de jeux vidéo. (Portraits de femmes inspirantes : gameuses, le jeu vidéo et le genre !).

L’importance de la représentation

Enfin, vous allez pouvoir lire le témoignage de D, avec qui j’ai également eu plusieurs fois l’occasion de parler de ces sujets. Je l’ai toujours connue très féministe et, assez rapidement, sa culture de gameuse et toutes les observations et analyses ont fait partie de nos discussions et réflexions politiques et féministes communes : « Je pense que le lien entre genre et jeu vidéo contient principalement deux dimensions pour moi : d’abord, et comme je le fais pour un peu tout le contenu culturel ou de divertissement que je consomme, j’ai tendance à chercher des protagonistes qui me ressemblent, donc des femmes ou du moins des protagonistes issus des minorités de genre. C’est quelque chose d’encore plus compliqué à trouver que dans les films, les séries, les livres, etc., parce que c’est un milieu qui, je trouve, s’ouvre moins à ces questions de représentation de la diversité et s’enfonce encore plus dans les stéréotypes masculins et virils que le reste. D’autant que les employés, et surtout les responsables, de la plupart des gros studios de jeu vidéo, comme Ubisoft par exemple, se sont montrés particulièrement misogynes, racistes et LGBTI-phobes, comme on a pu le voir avec les affaires médiatiques et judiciaires de ces dernières années. Et le peu de représentation féminine qu’on a dans les jeux publicisés est particulièrement catastrophique ! Il suffit de voir les jeux Tomb Raider, par exemple. Il faut vraiment fouiller du côté des jeux de studios indépendants pour trouver de la représentation et, surtout, de la bonne représentation. »

Le sexisme dépend des joueurs

« Ensuite, le sexisme est une chose que j’ai beaucoup ressentie quand je jouais à League of Legends, donc en ligne. Quand je m’y suis mise au lycée, vers 2016, je jouais avec des amis qui y jouaient depuis longtemps, certains depuis la version bêta au début des années 2010 (vers 2012, je pense ?). Je ressentais peu le sexisme de la communauté connue pour son sexisme et son racisme entre autres, si ce n’est que mes amis m’avaient dit qu’ils ne voulaient pas me faire jouer par défaut un rôle en particulier (support / healer) parce que c’est considéré comme un « rôle de meuf » : ils voulaient me faire jouer d’autres rôles qui demandent en général plus de skills (compétences) ou qui sont « bourrins » et donc considérés comme pas féminins… Ils savaient que ça me plairait plus que support et ne voulaient pas tomber dans ce stéréotype. Et c’était vrai ! »

« Puis j’ai moins joué avec eux, parfois notre équipe était incomplète (ce sont des équipes de 5) et on se retrouvait à jouer avec des inconnus, et c’est là que j’ai commencé à ressentir que beaucoup de joueurs considéraient qu’en tant que femme, je n’avais pas ma place sur ce jeu. Ni sur aucun autre jeu compétitif en ligne, d’ailleurs. Quand les inconnus avec ou contre qui je jouais comprenaient que j’étais une femme, j’avais droit à plusieurs réactions : souvent des insultes plus ou moins sexistes et des provocations, et c’était encore plus virulent quand j’étais plus forte que ces joueurs. Je me faisais même parfois signaler à la fin des parties sur de faux motifs. »

Le genre dans les jeux vidéos : explication de Fanny Lignon. (Portraits de femmes inspirantes : gameuses, le jeu vidéo et le genre !).

Du danger d’être gameuse

« À plusieurs reprises, des joueurs autant adverses qu’alliés m’ont demandé à la fin d’une partie si je pouvais jouer avec eux, notamment en vocal (sur Discord ou Teamspeak), je disais systématiquement non et plus d’une fois ils ont proposé de m’offrir un skin de personnage (avec de l’argent non virtuel) en échange d’une partie avec eux : ils voulaient acheter une partie avec moi, proposition à laquelle les autres hommes sur le jeu n’ont probablement jamais eu droit. Petit à petit, j’ai arrêté de jouer à LoL à cause de la misogynie parce que je savais que ça me ferait passer un mauvais moment si je lançais des parties seules. »

Le genre change le rapport à l’échec

« Je constate aussi que mon genre a un lien avec la manière dont j’ai pu gérer les échecs dans les jeux vidéo. En tant que femme, j’avais l’impression de montrer qu’on est effectivement nulles aux jeux vidéo dès qu’on rate quelque chose, même quand c’est un jeu solo dans ma chambre sans personne d’autre que mes chats pour me voir rater. Ce qui est complètement absurde parce que personne n’est bon dès le début sur une nouvelle activité ! Mais j’ai mis un temps infini à me débarrasser de cette impression et à intégrer que je ne suis pas représentative du « niveau des femmes sur les jeux vidéo » et que j’ai le droit d’être nulle quand je commence un nouveau jeu, voire que j’ai le droit d’y être nulle même après 500h de jeu dessus parce qu’après tout, c’est quelque chose qu’on retrouve chez beaucoup d’hommes aussi. Mais j’ai l’impression que ça évolue enfin avec des studios et développeur-ses qui introduisent les questions de diversité dans les jeux qu’iels sortent et sur leur lieu de travail, notamment à Ubisoft et Activision Blizzard ces dernières années. »

Portraits de gameuses, ça continue !

Ce n’est ici qu’un début de tout ce que l’on pourrait dire sur ce sujet. Nous aimerions beaucoup lire ce que vous auriez envie de répondre, que ce soit à la question qui a été posée à nos cinq gameuses, ou à leurs réponses elles-mêmes !

Dans la suite des focus thématiques des Portraits de gameuses, vous retrouverez notamment :

  • Quelle pratique du jeu vidéo ? Quel lien avec les autres pratiques culturelles ?
  • Le jeu vidéo et l’éducation/l’apprentissage
  • Le jeu vidéo et les progrès sociétaux
  • Pourquoi jouer ?

N’hésitez pas à nous dire si vous souhaitez soumettre des sujets supplémentaires à la discussion !

Lou Gasparini.

Notre note
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