Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !
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Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 7 minutes

Portraits de femmes inspirantes

Connaissez-vous Wendy Carlos ? Si son nom ne vous dit rien, peut-être avez-vous entendu ce qui a fait son succès dans Tron ou Orange Mécanique… Si ça ne vous dit toujours rien, peut-être connaissez-vous au moins le synthé ? Wendy Carlos, la femme derrière le synthé a participé à faire du synthétiseur un instrument considéré comme tel ! Elle était également la première femme trans à remporter un Grammy Award, même si on ne le savait pas encore. Découvrez cette carrière exceptionnelle !

Des débuts prometteurs

Wendy Carlos naît le 14 novembre 1939 à Pawtucket dans le Rhode Island, aux États-Unis, de parents issus de la classe ouvrière. Très tôt, elle apprend et joue du piano, comme sa mère. Ainsi, elle écrit sa première composition à l’âge de 10 ans. Deplus, à 14 ans, sa construction d’un ordinateur pour le concours de sciences inter-lycées lui vaut une bourse scolaire. En 1958, elle intègre l’Université de Brown et obtient en 1962 son diplôme en musique et sciences physiques. C’est dans une autre université de l’Ivy League qu’elle décroche son master de composition musicale : à Columbia en 1965. Parmi ses professeurs, on comptera notamment deux pionniers de la musique électronique : Vladimir Ussachevsky et Otto Luening. Ces débuts brillants ne font qu’annoncer la suite.

Wendy Carlos, lorsqu'elle s'appelait encore Walter, faisant une démonstration de son stéréophonique pour un projet scientifique de l'université Brown en 1958. | The Rafaelite, annuaire de la classe de 1958 de l'Académie Saint-Raphaël, Pawtucket, Rhode Island. (Portraits de femmes inspirantes : Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !).
Wendy Carlos, lorsqu’elle s’appelait encore Walter, faisant une démonstration de son stéréophonique pour un projet scientifique de l’université Brown en 1958. | The Rafaelite, annuaire de la classe de 1958 de l’Académie Saint-Raphaël, Pawtucket, Rhode Island. (Portraits de femmes inspirantes : Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !).

Wendy Carlos vit désormais à New York

C’est durant ses études, en 1964, qu’elle fait une rencontre déterminante : Robert Moog. À ce moment-là, ce dernier préparait sa thèse d’ingénieur physicien et commençait la construction du premier synthétiseur Moog. La collaboration des deux scientifiques est presque immédiate. Ainsi, ce sont les suggestions et critiques de Wendy Carlos, qui ont permis à Robert Moog de perfectionner son invention. De plus, c’est elle qui lui suggère l’ajout d’un clavier tactile, pour améliorer les dynamiques musicales du synthétiseur. Dès 1966, Wendy Carlos possèdera un synthétiseur Moog, qu’elle utilisera pour composer des jingles publicitaires. En 1967, sa rencontre avec Rachel Elkind est décisive. La jeune femme qui s’était essayé à la chanson de jazz devient son amie, puis sa colocataire.

Moog (Documentary). (Portraits de femmes inspirantes : Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !).

Switched-On Bach

À cette époque, Wendy Carlos enregistre des morceaux au synthétiseur Moog et écrit des articles sur la musique électronique. Ceci lui permet de se créer un studio de composition et d’enregistrement. Dès lors, elle construit elle-même l’enregistreur huit pistes qu’elle n’a pas eu les moyens d’acheter.

C’est en 1968 que vient la consécration, avec la légende : Switched-On Bach. Il s’agit de morceaux de Jean-Sebastien Bach joués au synthétiseur et enregistrés dans le studio de Wendy Carlos. Celle-ci aurait souhaité enregistrer une de ses propres compositions, mais Rachel Elkind, qui connaissait l’industrie musicale, l’a convaincue d’attendre. Il fallait installer progressivement le synthétiseur, en faire un instrument crédible. Quoi de mieux alors pour le faire découvrir, qu’une musique familière aux oreilles du plus grand nombre ?

Not Carlos Moog Bach… Sinfonia. (Portraits de femmes inspirantes : Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !).

Le sexisme de l’industrie musicale

Les deux jeunes femmes ont connu quelques difficultés lors de l’enregistrement de l’album, dues à la lenteur des technologies Moog à l’époque. De plus, il leur fallait un homme pour porter le projet, afin que les labels acceptent de produire le disque. Rachel Elkind fait alors appel à son ami Ettore Stratta, qui leur permet de présenter et sortir leur disque. Switched-On Bach devient un best-seller ! Il reçoit trois Grammy Awards : Meilleur album classique, Meilleure performance artistique, et Meilleure conception technique d’album classique. En 1969 Wendy Carlos sort une suite : The Well-Tempered Synthesizer, qui connaît elle aussi un beau, bien que moindre, succès. Wendy Carlos a toujours insisté sur l’importance du rôle de Rachel Elkind dans ses créations, dans sa carrière. Elle déplore qu’elle ne soit pour le public qu’une « partenaire silencieuse ».

J. S. Bach – The Very Well Tempered Synthesizer – Praeludium 2. (Portraits de femmes inspirantes : Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !).

Le cinéma

En 1970, après le succès de ses deux premiers albums, Wendy Carlos est approchée par le milieu du cinéma. Stanley Kubrick lui demande de composer la bande-originale de son film Orange Mécanique, qui sort en 1971.

Au même moment, elle expérimente les possibilités qu’offre le synthétiseur. Ainsi, elle souhaite enregistrer des musiques d’ambiance, de fond, plutôt que de la musique que l’on écouterait attentivement du début à la fin. Elle utilise un vocodeur, transformant les sons de mélodies de Beethoven, Rossini et Purcell pour créer la bande-son du film de Kubrick.

Wendy Carlos continue donc sa carrière musicale en dehors du cinéma et sort en 1975 l’album By Request, où elle a synthétisé des musiques de Tchaikovsky, Bach, The Beatles… et où l’on trouve deux de ses propres compositions des années 1960 !

Orange Mécanique – Bande Annonce Officielle (VOST). (Portraits de femmes inspirantes : Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !).

Sa collaboration avec Stanley Kubrick reprend avec le film The Shining, sorti en 1980

Enfin, collaboration… Carlos et Elkind ont honoré leur commande et composé ce que la lecture du livre leur inspirait. Mais le réalisateur, qui ne leur aurait pas fait signer de contrat, a finalement utilisé des compositions de musiciens d’avant-garde déjà existantes. Carlos ne l’apprendra qu’à la projection du film, mais, en l’absence de contrat, ne pourra pas porter plainte. L’album de la bande-originale du film ne contiendra que deux morceaux crédités à Wendy Carlos. À la fin de ce projet, Rachel Elkind part en France, et Carlos collabore désormais avec Annemarie Franklin. Elles commencent fort, avec la bande originale de Tron, commandée par les studio de Walt Disney. Le film sortira en 1982, et sa musique comprendra notamment des enregistrements d’orchestres symphoniques, que Carlos a absolument voulu joindre à ses compositions électroniques.

Wendy Carlos : Theme from Tron. (Portraits de femmes inspirantes : Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !).

Le synthétiseur

Wendy Carlos a continué à composer, enregistrer et sortir des albums. Notamment une réédition en 1992, pour fêter les 25 ans de son tout premier grand succès : Switched-On Bach 2000 ! Un an et demi et de toutes nouvelles technologies reprennent ce premier album à zéro pour le magnifier.

Avec l’aide de la technologie Moog, le soutien de Rachel Elkind et son travail acharné, Wendy Carlos a propulsé le synthétiseur au rang des instruments légitimes. Le lien entre mathématiques et musique est de plus en plus connu du grand public. Néanmoins, ce qui fascine dans la carrière de Wendy Carlos, c’est ce qu’a pu produire la rencontre entre les capacités exceptionnelles d’un cerveau de physicienne et le talent d’une grande artiste. C’est notamment grâce à elle que les musiques électroniques ont été popularisées et ont pu ainsi se diversifier aujourd’hui, ouvrant le champ à de toutes nouvelles cultures musicales.

Protagoniste de l’histoire trans

Aujourd’hui âgée de 83 ans, Wendy Carlos, dont presque tout le monde a entendu les créations, reste encore trop méconnue.

Nous en parlions en introduction de l’article : Wendy Carlos est une femme transgenre. Quand ses parents la pensaient petit garçon, elle a toujours su qu’elle était une fille et qu’elle grandirait femme. C’est à Columbia en 1962 qu’elle commence à pouvoir mettre des mots sur ce qu’elle vit, en entendant parler des études sur les questions transgenres. Ainsi, en 1968 et à l’âge de 18 ans, elle débute sa transition médicale, prenant un traitement hormonal substitutif. Son apparence commence rapidement à changer. Sur le plan personnel, cela a dû être un véritable soulagement et un grand bonheur pour la jeune femme. Sur le plan professionnel en revanche… être une personne LGBTI à l’époque pouvait s’avérer dangereux. Wendy Carlos a longtemps eu peur de révéler son identité de femme.

Wendy Carlos sur la BBC, le 8 février 1970. (Portraits de femmes inspirantes : Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !).

Elle ne fera son coming-out,

lors d’une interview publiée dans Playboy, qu’en mai 1979. En effet, avant cela, le public la connaissait sous le nom de « Walter Carlos ». Pour qu’on la prenne pour un homme, elle pouvait porter des perruques masculines ou même se dessiner des poils ! Malgré tout, le public n’a pas mal accueilli cette révélation et Wendy Carlos a enfin pu être elle-même. Ainsi, toutes les éditions ou rééditions de ses travaux seront par la suite à son véritable nom, celui qu’on lui connaît aujourd’hui.

L’importance de savoir

L’histoire LGBTI est parfois difficile à reconstituer. En effet, elle a bien trop souvent été dissimulée, ses preuves détruites, et elle est encore souvent niée. Si l’on connaît beaucoup d’hommes homosexuels célèbres du passé et qu’on se plaît à idéaliser leurs amours, je pense notamment à Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, les amants gays maudits par excellence, on peine à reconnaître l’existence passée des lesbiennes et des personnes trans. Si l’on découvre la correspondance intime de deux femmes, des tableaux ou photos les montrant très proches, on cherchera rapidement à conclure qu’il s’agissait d’amies et non d’amantes. Quand Mathilde de Morny, appelée tantôt Missy, tantôt Oncle Max, grand amour de l’écrivaine Colette, s’habille en homme et se fait même retirer les seins et l’utérus, on refuse de lui reconnaître une identité trans. Il ne l’a jamais revendiquée, alors ce n’est pas à nous de la lui coller, c’est évident.

Cependant, impossible de nier que Mathilde de Morny fait partie de l’histoire trans

C’est important et même primordial, pour que les droits et la place des personnes trans aujourd’hui évoluent, de bien comprendre que l’histoire trans remonte à loin et est partie intégrante de l’histoire humaine. C’est pour cela aussi que nous avons souhaité parlé de Wendy Carlos dans ce dossier autour du 8 Mars. Pour n’oublier aucune femme, aucun parcours de femme.

Wendy Carlos sur la BBC en 1989. (Portraits de femmes inspirantes : Wendy Carlos, la femme derrière le synthé !).

Pionnière

Le 6 février 2023, Kim Petras a été la première femme ouvertement transgenre à remporter un Grammy Awards, marquant ainsi l’histoire de la musique. Dans une interview pour le magazine Numéro, elle déclare : « Je suis la première femme transgenre à avoir reçu cette récompense en particulier. Avant moi, il y a eu la compositrice Wendy Carlos, qui a reçu plusieurs prix, même si elle n’était pas ouvertement trans à ce moment-là. Et Sophie a été nommée pour un Grammy Award dans la catégorie album dance/électronique. Mais ce prix signifie beaucoup de choses pour moi. Je suis fière d’être transgenre, et cette récompense symbolise que le monde a quelque peu changé, qu’il est peut-être plus ouvert. En fait, il y a toujours eu des personnes transgenres, mais les gens ne les ont pas mises en lumière et ne les ont pas classées dans les listes de prix. »

Des modèles d’émancipation

Les parcours de pionnières servent de modèles d’émancipation pour toutes les petites filles et les jeunes femmes qui y ont accès. Alors n’hésitez pas à dire à celles autour de vous qui sont en pleine construction que la science et la musique peuvent mener loin : Wendy Carlos l’a fait !

Lou Gasparini.

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