Livre : Laëtitia d’Ivan Jablonka, quand le fait divers devient un objet littéraire !

Livre : Laëtitia d’Ivan Jablonka, quand le fait divers devient un objet littéraire !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 3 minutes

Aucun autre pays au monde ne peut se prévaloir d’un nombre aussi important de prix littéraires que le nôtre. Il en existe plus de 2 000 et, cerise sur le gâteau, depuis 2011 a été créé le prix des prix littéraires décerné parmi ceux qui ont obtenu les grands prix, en quelque sorte au meilleur d’entre nous. Cette année, Ivan Jablonka, prix Médicis, l’a obtenu pour Laëtitia ou la fin des hommes. L’ouvrage mérite que l’on s’y arrête. Livre : Laëtitia d’Ivan Jablonka, quand le fait divers devient un objet littéraire !

À partir d’un fait divers, Ivan Jablonska, 43 ans, historien et sociologue, ausculte la société française et l’énorme et multiforme déshérence qu’elle génère, qui s’infiltre dans les êtres fragiles, qui se dissimule derrière une foule de façades bien pensantes.

Une enquête précise, vaste et fine

Il raconte son enquête, précise, vaste, fine, à ramifications, qui va partout où elle doit aller pour ne rien laisser au hasard. Il en résulte une plongée dans la misère ordinaire qui soude notre société autant que la richesse. « Ce fait divers est exceptionnel à tous égards, par l’onde de choc qu’il a soulevé, par son écho médiatique et politique, par les moyens mis en œuvre pour retrouver le corps, par la douzaine de semaines que ces recherches ont duré, par l’intervention du président de la République, par la grève des magistrats qui s’en est suivie », écrit l’auteur.

Dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011 une jeune femme de 18 ans, Laëtitia Perrais, est enlevée à 50 m de son domicile, avant d’être étranglée, poignardée et découpée. Il faudra des semaines pour retrouver la totalité de son corps.

Livre : Laëtitia d’Ivan Jablonka, quand le fait divers devient un objet littéraire !

Jablonka suit le parcours de Laëtitia

Le regard est centré sur la victime, moins sur son meurtrier à qui la parole est cependant donnée. L’alcool, la violence intra-familiale, l’inceste, l’illettrisme ont été déversés dans le berceau de Laëtitia et de sa jumelle Jessica. Comme si cela ne suffisait pas, le père de la famille d’accueil à laquelle elles ont été confiées, après divers placements, à l’âge de 13 ans, reconnaîtra des agressions sexuelles sur au moins l’une des deux, l’autre n’étant plus là pour dire ce qui en était avec elle. Des vies massacrées avant même d’avoir commencé. Affaire sordide à laquelle le président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, surfant sur l’énorme émotion provoquée, mettant en cause les juges auxquels il a promis des « sanctions en réponse à leurs fautes », donne des prolongements politiques en délégitimant le travail de la justice.

Le parcours de Laëtitia

Alternant chapitres techniques et récits, Jablonka suit le parcours de Laëtitia. Bien qu’elle soit la victime, elle reprend vie, retrouve pleinement son identité. L’auteur radiographie aussi, sans complaisance, mais sans agressivité tous les acteurs en présence, les enquêteurs, les juges, les avocats, les journalistes et l’ensemble des professions et des structures liées à l’enfance en détresse. Dysfonctionnements mis en avant, polémique agitée gonflée par l’Élysée , mais écrit l’auteur « elle masque deux facteurs de compréhension, l’évolution professionnelle des acteurs mis en cause et l’attitude du président de la République ».

Une analyse subtile et argumentée

L’analyse est subtile, argumentée, replacée dans le cadre des faits, dans la vie provinciale de l’arrière-pays nantais. Beauté, horreur, difficulté de vivre, petits bonheurs, la sournoise violence l’instable qui se donne des airs de stabilité, malheur de la mort jeune, brutale, ignoble, la politique qui s’invite, tout se superpose dans ce livre qui tient du polar, du récit. Ce qui aurait pu n’être qu’un documentaire s’est transformé en essai socio-politique élégant, sensible et juste.

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Une épitaphe sensible

Aucun de ceux, qui de loin ou de près, ont été mêlés à cette affaire, n’en est sorti indemne. Son enquête a rendu triste Ivan Jablonka. L’ouvrage qu’il faut lire avec lenteur retentit en chacun comme une épitaphe sensible. « Je me suis dit que raconter la vie d’une fille du peuple massacrée à l’âge de 18 ans était un projet d’intérêt général, comme une mission de service public, Laetitia, c’est moi », conclut cet enseignant en université.

« C’est nous » est-on tenté de lui répondre après avoir été à la rencontre de cette femme-enfant, victime d’un homme lui aussi en perdition.

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Par Françoise Cariès. MagCentre.

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