Pierre Soulages par lui-même !
Centre Pompidou Musée Soulages Rodez Pierre Soulages Abstraction Abstrait

Pierre Soulages par lui-même !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 7 minutes

Décédé le 26 octobre 2022 à l’âge de 102 ans, Pierre Soulages fut l’un des artistes français les plus côtés de son vivant. Voici ce que celui qui a toujours voulut illuminer le noir disait de lui-même, de son œuvre et de son parcours. 

Tout est là dans l’enfance 

« J’avais eu la chance enfant que ma mère me parle toujours comme à un adulte. Elle justifiait tout ce qu’elle me disait, mais quel culot, quand j’y pense, de lui parler du haut de mes 5 ans sur ce ton ! Tout est là dans l’enfance, dans l’adolescence. Déjà le caractère. Je contestais déjà tout, mon enseignement au lycée, l’enseignement religieux. Quand j’étais à Rodez en classe de seconde, on étudiait le relief du Jura et il fallait le dessiner. Je suis au tableau et je m’exécute avec un peu de légèreté. Le professeur d’histoire-géo me dit en riant : « Ah je vois, Soulages se prend pour un peintre impressionniste. » Et tout le monde se met à rire. À l’époque l’impressionnisme c’était risible, ridicule. »

La jeunesse de Pierre Soulages sur les bancs de l’école. Reproduction Centre Presse Aveyron.

Comment l’aventure du noir a commencé 

« L’aventure, elle est née très tôt. […] Quand j’étais enfant, je trempais mon pinceau dans l’encrier d’encre noire et je balafrais mes cahiers d’écolier avec ça. Et un jour, quelqu’un m’a demandé ce que je faisais. On m’a raconté que j’avais répondu : « un paysage de neige ». […] Effectivement, je devais chercher, avec le noir opposé au blanc, à rendre le papier plus lumineux, plus blanc, aussi blanc que la neige alors que le papier, c’est un blanc gris qui n’a jamais la blancheur éblouissante de la neige. […] Le noir est ma couleur favorite, c’est vrai. » 

C’est vertigineux 

« Les solstices et les équinoxes m’intéressent toujours. Mon père, que je n’ai pas connu, était très intéressé par l’univers. Moi j’ai commencé à me poser des questions quand j’ai su que le Soleil n’était qu’une étoile parmi des millions et pas la plus grosse mais la plus petite étoile. Et la Terre un satellite d’une petite étoile. Elles appartiennent à la galaxie dans laquelle on se trouve, que l’on appelle la Voie lactée. Notre galaxie, une espèce de disque dans lequel il y a des millions de soleils que l’on ne voit pas. Et cette galaxie n’est qu’une parmi des amas de galaxies. C’est vertigineux. D’ailleurs le vertige arrive même avant. Quand on est en présence de l’énormité dans laquelle on est, il n’y a pas de mots quand on arrive à ce qu’est l’individu et les infinis. Alors là, on a un mot mais pas la représentation. Ce qui est formidable c’est que ce misérable et complexe petit amas de cellules que l’on appelle un homme arrive à connaître cela. » 

Depuis ce jour-là, on ne s’est plus quittés 

« Nous nous sommes rencontrés lorsque nous étions étudiants, Colette et moi, à l’école des beaux-arts de Montpellier en avril 1941. De ce jour-là, on ne s’est plus quittés. On est allés au musée ensemble puis à la bibliothèque du musée pour consulter des livres dont on parlait. On s’est aperçus qu’on avait les mêmes centres d’intérêts et que l’on avait lu les mêmes livres. Et à la rentrée suivante, on s’est dit qu’on était trop contents d’être ensemble. On s’est mariés en octobre 1942. »

Pierre Soulages et son épouse, Colette. Copyright LP/Frédéric Dugit.

La forme et le geste 

« C’est la forme, ce qui se passe sur la toile qui me renseigne sur ce que j’ai envie de faire. Dès mes premières toiles, j’ai vu les limites du geste parce que je ne suis pas un peintre gestuel. Le geste, c’est une mise à distance dans le temps …de la toile. Quand vous regardez une trace peinte sur le tableau, vous pensez au mouvement de la main du peintre. Le tableau n’est déjà plus aussi présent. Il y a quelque chose qui vous a mis à distance dans le temps, au moment où le peintre a peint et la présence du tableau en est d’autant affaiblie. » 

Ce n’est pas du noir 

« En 1979, j’ai appelé mes toiles « Outrenoirs » en réaction au « noir lumière », qui est une illusion d’optique. « Outrenoir », pour « au-delà du noir ». J’ai inventé ce mot sur le même modèle que « outre- Manche ». C’est une définition artistique, un autre pays que celui du noir. L’Outrenoir désigne un champ mental, atteint par ce phénomène de la couleur qui a la plus grande absence de couleur et qu’on appelle le noir. Mais il émet, par reflets, une lumière. Une partie de l’émotion ressentie provient de là. Ce qui compte, c’est le champ mental atteint et non le phénomène optique. Ce que vous voyez dans mes dernières peintures, ce n’est pas du noir, c’est de la lumière réfléchie par le noir, transformée par le noir, transmutée par le noir. Si vous regardez avec vos yeux et non pas avec ce que vous avez dans la tête, c’est la lumière que vous voyez. Elle vient de la peinture vers vous. […] L’espace de la peinture est devant la peinture. Vous êtes à ce moment-là dans l’espace de la peinture. »

Peinture 102 x 165 cm, 17 juillet 2017, 2017. Acrylique sur toile. 102 x 165 cm | 40 3/16 x 64 15/16 in. ©Pierre Soulages / ADAGP, Paris, 2019.

La dimension, puis la date 

« Les titres ne me font pas peur, mais ils montrent une direction qui n’est pas la mienne. Ces titres-là sont des poteaux indicateurs qui vous conduisent vers autre chose. Quand vous voyez dans un musée Composition, dites-vous que ce n’est pas moi qui l’ai dit. Mais j’ai toujours dit de mes toiles qu’elles avaient un titre. Ensuite vient la dimension ! C’est la qualité concrète de la chose. C’est 7 mètres sur 1,5 mètres. D’ailleurs, si j’ai une toile de 7 mètres, c’est que j’ai mes raisons qui n’étaient pas celles de faire un grand format mais bien celles de faire une toile dont la lecture ne 
puisse se faire que par fragments. Quand vous la voyez reproduite dans un catalogue, en double page en général, vous voyez tout, tout et rien du tout de la toile. Ce sont des toiles où on voit apparaître un rythme et où on le voit s’effacer. On ne voit jamais la toile parfaitement claire dans sa totalité. Ça c’est voulu, cela fait partie de la poésie. Par conséquent, mes titres, c’est toujours la dimension. La qualité concrète et ensuite, pour différencier deux toiles du même format, la date. […] Et le sens, c’est vous qui le construisez, c’est vous qui le donnez ! » 

La chose et l’objet 

« Un tableau est une chose, et je voulais notamment indiquer son côté matériel en faisant des dimensions de mes tableaux leur titre. La date est secondaire mais sert à distinguer deux dimensions semblables. J’ai instauré cette pratique dès 1947. C’est toujours pour indiquer que les toiles sont une chose réelle, concrète et que l’on peut toucher, que je les ai accrochées entre sol et plafond. Quand on le met dans l’espace, le tableau devient mur. Je préfère qu’il soit un mur plutôt qu’une fenêtre. Après l’exposition au Centre Pompidou en 2009, qui a reçu plus de 500 000 visiteurs, Alain Badiou a écrit un article sur la différence fondamentale que je faisais entre « la chose » et « l’objet ». « L’objet » se définit comme ayant une fonction, mais « la chose » indique qu’elle est ouverte aux interprétations. Duchamp disait : « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux. » Pour moi, ce rapport est triple et non pas double, parce que l’œuvre est un artefact ; c’est un homme qui a fait l’œuvre et c’est un homme qui la regarde. » 

Le musée Soulages de Rodez 

« Je suis très heureux du succès de ce musée. Pourtant, au départ, j’ai totalement refusé cette idée d’un musée personnel. Je me suis toujours méfié de ces « mausolées » d’artistes où tout le monde se précipite pendant trois ans, puis qui sombrent dans l’oubli. Tout cela était donc très tentant et, oui, j’ai fini par accepter, à condition qu’il y ait, dans ce musée qui porterait mon nom, un espace de 500 m2 ouvert à des expositions autres que les miennes. Pour sa création, j’ai fait deux donations importantes, une première en 2005, une seconde en 2011 et, en 2014, un dépôt de peintures de grandes dimensions des années 1956 à 1990 : 55 peintures sur toile, 117 peintures sur papier, 140 estampes, des bronzes, les cartons grandeur nature et, comme je vous l’ai dit, les échantillons des vitraux de Conques… »

Musée Pierre Soulages de Rodez. Crédit photo.

Ne pas me compromettre 

« Je suis beaucoup plus isolé que ce que l’on pourrait croire. Je vis seul avec Colette. Paris, c’est un autre monde, ce n’est pas le mien. Je réponds si on m’appelle mais je ne téléphone jamais. Par besoin de solitude, par timidité sûrement, ou par amour de ne pas me compromettre. Avant je n’osais même pas entrer dans une galerie. Chaque fois que j’ai vu un groupe se former, je m’en éloignais. J’ai horreur des tribus et encore plus des chefs de tribus. Et les théories idem. Je suis contre toutes les théories picturales, les théories de l’abstraction géométrique ou les théories artistiques, imbéciles comme celles du Parti communiste à une époque. Je pense à Aragon. La théorie, c’est ce qui vous limite, c’est ce qui vous bloque, Vous vous fabriquez une prison avec une théorie et non pas une ouverture vers ce que l’on ne sait pas. » 

Ce qui m’intéresse, c’est de voir vivre mes toiles 

« Une chose est sûre : je ne veux pas laisser mes os à Rodez. J’ai acheté une concession au cimetière marin de Sète. C’est assez amusant car cette tombe est protégée par de la matière… noire. J’ai aussi des amis qui me disent que ma place serait davantage au cimetière Montparnasse à Paris. En fait, je m’en fous complètement. Ce qui m’intéresse, c’est de voir vivre mes toiles. » 

La rédaction. 

Notre note
pierre soulages pierre soulages pierre soulages pierre soulages

Pierre Soulages | ARTE

Jet Tours

Commentaires

1
Jorge

Après avoir visité le musée Soulages de Rodez on ne voit plus le noir de la même manière. C'est une véritable peinture dédiée à la matière et à la lumière. Une œuvre lumineuse.

Ajouter un commentaire

Fermer le menu
DESTINATIONS AGENDA COMPTE
CulturAdvisor