Nous, la Vague : au cœur de la radicalité militante !
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Nous, la Vague : au cœur de la radicalité militante !

Hakim Aoudia - Publié le

Temps de lecture : 8 minutes

Série Netflix allemande sortie en 2019 et réalisée par Anca Miruna Lāzārescu et Mark Monheim, Nous, la vague est une adaptation très libre du livre La vague de Todd Strasser. Constituée d’une saison de six épisodes d’une cinquantaine de minutes environ, elle est une représentation des combats de la génération Z. C’est l’histoire d’adolescent-e-s révolté-e-s pris-es au cœur des questions sur la radicalité militante.

Les personnages principaux

Léa Herst vient d’un milieu privilégié. Elle est belle, mince, sort avec son coach de tennis, est assez populaire.

Zazie Elsner vit avec son grand-père et subit le harcèlement des filles populaires.

Hagen Lemmart est fils d’agriculteurices, en colère contre l’usine de papier qui pollue leurs terres.

Rahim Hadad est d’origine libanaise, victime des intimidations du groupe de jeunes néo-nazis du lycée et menacé d’expulsion avec sa famille par des promoteurs immobiliers.

Ils et elles ne se parlent jamais. Mais un jour, leur lycée accueille un nouvel élève : le rebelle et radical Tristan Broch. Et c’est par lui que tout commence.

Les personnages principaux de la série Nous, la vague. © Bernd Spauke – Netflix – Rat Pack Filmproduktion.

Une jeunesse révoltée

La série est une bonne illustration de la jeunesse révoltée et militante. Ils et elles ne s’engagent pas pour une cause, iels s’engagent contre le capitalisme, contre les injustices et les oppressions. Et principalement contre le parti nationaliste et les jeunes fascistes de leur lycée.

Chaque personnage a sa propre colère et cherche une vengeance. Tristan, qui le sait bien, approche chacun-e des personnages et les réunit autour de lui. Ensemble, iels montent Die Welle (La Vague), comme une vague de soulèvements contre les injustices. Chacun-e leur tour, iels choisiront une cible et une action à mener. Leur but ? Alerter la population et punir ceux qui font du mal.

Une adaptation libre

Au premier abord, on pourrait penser que la série n’a rien à voir avec le livre de Todd Strasser ou le film de Denis Gansel. Mais un moment de la série nous appelle à faire le rapprochement avec ces œuvres en s’appuyant sur l’expérience de Stanford.

Couverture du roman La vague de Todd Strasser, dont la série Nous, la vague est librement adaptée. Copyright éditions Pocket.

Lea, voyant que les actions et les vidéos de Die Welle ont un grand succès et gagnent de plus en plus de soutien, souhaite étendre le groupe et le mouvement. On note au passage que Tristan est déjà sceptique. Les vidéos l’inquiètent. Sûrement parce qu’il est déjà en prison (avec une permission de jour) et qu’il est un habitué de la lutte illégale. Ainsi, il sait qu’il faut parfois se faire discret.

Un groupe paradoxal

Rapidement, on apprend que ce dernier vient de la mouvance autonome. Historiquement, les autonomes sont contre toute forme d’organisation formelle et ont tendance à former des groupes affinitaires, plutôt restreints. Sa réticence est donc justifiée politiquement, puisque prendre des décisions à plusieurs devient plus compliqué à mesure qu’un groupe augmente. Il faut aussi considérer que Tristan est un adolescent apparemment sans famille, plutôt seul. La bande qu’il a réunie autour de lui est donc précieuse à ses yeux, et l’on peut facilement imaginer qu’il souhaite garder intact ce lien.

Une organisation qui dérape

Lea finit néanmoins par inviter plusieurs lycén-ne-s à les rejoindre à l’usine désaffectée transformée en squat, où le petit groupe a l’habitude de se réunir. Et alors qu’elle harangue cette foule pour leur proposer une action, évoquant l’abattoir en ville qui ne respecte pas la législation en termes de bien-être animal, la situation lui échappe. Tristan la supplie de tout arrêter, lui assurant que ça va mal tourner.

Image de la série Nous, la vague. © Netflix/ Photo: Bernd Spauke / RatPack Filmproduktion GmbH.

Et en effet, les lycén-ne-s en colère se rendent à l’abattoir sans écouter les conseils de Lea sur les moyens d’actions (des tags « Meat is murder », par exemple). Ils et elles détruisent le bâtiment à grands renforts de cris. La police arrive et arrête Lea. On rencontre alors le policier caricature, obsédé par Die Welle et membre du parti nationaliste, violent, dangereux. Présenté comme l’un des ennemis du mouvement, il est la fameuse brebis galeuse de la police.

L’expérience de Stanford

Un mot sur l’Expérience de Stanford menée par le professeur Zimbardo en 1967. Il s’agissait de prendre un échantillon d’étudiants, répartis en prisonniers et gardiens, afin de démontrer que la violence vient de l’oppression et de la prison. Nous vous invitons à écouter l’émission de France Culture qui revient sur cette expérience en en montrant l’invalidité. On peut également se rappeler de l’Expérience de Milgram en 1963, qui cherchait à démontrer que sous la pression de représentant-e-s d’une certaine autorité, des individus a priori sains, pouvaient devenir des bourreaux.

Couverture de l’essai : Histoire d’un mensonge – Enquête sur l’expérience de Stanford de Thibault Le Texier. Copyright éditions Zone.

La possibilité de dérives violentes

Bien sûr, avec Die Welle, il ne s’agit pas d’un excès de discipline, mais en creusant, on comprend le parallèle : Lea est le leader, elle définit un ennemi contre lequel doit se défendre la petite communauté, et l’euphorie de la foule mène à des dérives violentes. Il est effectivement important de rester critique et de porter l’attention du public sur des dérives possibles. Cependant, il faut faire également attention à ce discours que l’on entend souvent s’opposer aux mouvements militants : si les mouvements écologistes, animalistes, antifascistes, féministes, ou antiracistes sont taxé-e-s de dérives violentes et sectaire, cela ne signifie-t-il pas que ces luttes touchent des points sensibles et donc sont sur la voie du changement et dérangent. ? La fiction joue son rôle de mise en garde : attention aux pulsions des foules.

Un message flou

Ce qui m’a d’ailleurs dérangée à plusieurs reprises, c’est qu’il y a dans la série un message ambigu sur le militantisme et un message politique flou ; comme un appel à une radicalité répondant à la gravité et à l’urgence de la situation, mais en restant sage, en ne dérangeant pas trop.

Pourquoi, alors que le positionnement général de la série est de manière évidente favorable à l’engagement de ces jeunes, les scénaristes et réalisateurices semblent vouloir diriger et contrôler la forme de cet engagement ? Il serait intéressant de connaître le positionnement réel des créateurices sur ce point. Comment nous guident-iels vers cette idée de la non-violence dogmatique ?

Tristan, un personnage ambigu

D’abord en rendant le personnage de Tristan assez équivoque. Beau, charismatique, intelligent, cultivé, empathique : un personnage attachant. Tristan représente la radicalité militante, plutôt anarchiste. Il est donc autonome, mais aussi Black Bloc. C’est un mot que l’on commence à connaître, sans faire partie de ces milieux. Et Tristan n’est pas net. Il vole, vend du cannabis, il est en contact avec des personnes dont on peut soupçonner que l’activité est illégale. Quoi qu’il en soit, le personnage présenté comme radical est aussi présenté comme étant sur le mauvais chemin.

Tristan pose son ambition pour Die Welle en ces termes : « J’étais avec des gens qui voulaient détruire le capitalisme et la mondialisation. Ils s’attaquaient à l’adversaire le plus invincible, pour avoir une excuse d’avoir échoué. Tous les cinq, on ne sauvera pas de baleines, mais on peut changer quelque chose… ici et maintenant. »

Deux visions contradictoires

L’idée est donc d’agir localement et directement. C’est une stratégie claire, logique et louable. Mais si les actions sont grandioses, joyeuses et pertinentes, elles sont aussi irréalistes et complètement irréalisables. Et la dernière, c’est l’apothéose. Elle se conclut par un die-in et le naïf, presque touchant appel de Lea : « Si on reste pacifiques ils ne peuvent rien faire. » Les adolescent-e-s se laisseront tranquillement arrêter et emmener par la police. On retrouve alors deux visions militantes qui s’entrechoquent. Faut-il utiliser la violence (saboter, casser, poser une bombe), ou plutôt protester calmement et faire de ses actions des happenings ?

Une fin convenue ?

Ici, la fin de la série ne semble pas en accord avec son début. Celle-ci s’ouvre sur un discours de Lea en voix-off : « Jusqu’où irez-vous ? Que risqueriez-vous ? Pour un idéal, vos amis, pour l’amour. Pour notre avenir. On ne changera pas le monde en suivant les règles. Mais il doit changer. Tout doit changer. On remet tout en question parce qu’il est grand temps. Et si on vous fait peur… tant mieux. Vous avez eu votre temps et vous l’avez gâché. On ne reculera pas. On a décidé. Maintenant on agit. Et on ne demandera pas la permission. »

Or, ce qui est souvent reproché à la non-violence dogmatique par les plus radicaux, c’est justement de demander la permission. La grande action finale, qui vise à bloquer momentanément une usine d’armes et alerter la presse sur les dangers de celles-ci, ne restera au fond qu’une alerte.

Diverses conceptions du militantisme

Pour Lea, il s’agit avant tout de convaincre, de gagner le plus de monde possible à leur cause. Pour Tristan, il s’agit de vraiment changer quelque chose. Ces conceptions militantes et la complémentarité des moyens de luttes (action directe ou soft power violence politique ou non-violence etc.) ayant entraîné des discussions au sein de l’équipe, nous vous proposerons prochainement un article revenant sur ces questions. On peut néanmoins apprécier la dimension humaine du militantisme qui a été brillamment captée et retranscrite.

Un facilitateur d’engagements

Le personnage de Tristan dans la série Nous, la vague. © Netflix/ Photo: Bernd Spauke / RatPack Filmproduktion GmbH.

Tristan est un catalyseur de révolté-e-s, un facilitateur d’engagements. Dans les parcours de militant-e-s, on retrouve souvent une personne croisée, souvent radicale et un peu sombre, qui aide à ouvrir les yeux et commencer une nouvelle vie.

C’est ainsi que Lea, en voix-off, présente Tristan : « La vie bascule en un clin d’œil. Mais on ne le voit qu’après. Serait-ce arrivé sans lui ? Aurions-nous été ami-e-s ? Aurions-nous eu le courage de nous battre ? Et d’aller aussi loin ? Nous étions comme un incendie prêt à éclater et il était l’étincelle. » Il a changé à jamais les vies de ces adolescent-e-s. On retrouve alors dans cette fiction une représentation positive d’une réalité de vie. On ressent la joie qu’il y a dans l’éveil politique, la fierté d’agir, l’envie de recommencer après la première action, et surtout les liens qu’on crée en militant.

Une série représentative de la génération Z

Nous, la vague ne s’interroge pas sur l’utilité ou non de lutter. Il est assez clair que le monde est cruel, qu’il y a des ennemis à combattre (les 1%, les fascistes, les pollueurs) et qu’ils sont dangereux. La colère et l’engagement des jeunes est absolument justifiée. On voit leurs intentions louables, les adolescent-e-s derrière les activistes, avec leurs problèmes de cœur et de construction personnelle, et ce que produit l’éveil et l’action militante chez des personnes à qui il manquait seulement une étincelle. C’est une assez bonne série, courte, avec une tension narrative bien menée et qui peut être un premier pas pour mieux comprendre l’importance de l’engagement pour la Génération Z, les formes de son militantisme, et la joie qu’il y a à agir pour des convictions.

Quelques réserves

Nous ne soutenons cependant pas les créateurices sur ce qui semble être l’un des messages de la série : que les jeunes s’engagent ! Mais surtout, sans trop faire de vagues…

Pour s’inspirer ou pour comprendre, à voir sur Netflix !

Lou Gasparini

Notre note
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NOUS, LA VAGUE Bande Annonce VF

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